La bibliothèque de Saint-Omer, comme la plupart des bibliothèques communales, s'est formée des débris de celles des communautés religieuses supprimées par la révolution. La collection des livres imprimés est peu considérable, à cause des dilapidations qui eurent lieu à cette époque, et de l'incurie avec laquelle l'autorité en laissa perdre une grande quantité, exposée aux injures du temps : celle des manuscrits, au contraire, malgré des pertes assez fortes, est encore nombreuse ; elle comprend 842 articles, qui, en comptant les numéros doubles, peuvent être portés à 850, et forment un ensemble de 900 volumes environ. D'après les détails du présent catalogue, sur ces 842 numéros on en trouve :

La bibliothèque de Saint-Bertin était originairement beaucoup plus riche en manuscrits ; le catalogue dressé peu de temps avant la révolution en indique 771 : comme les 549 qui en proviennent forment encore la partie la plus importante et la plus considérable de la collection que possède Saint-Omer, l'histoire de cette dernière ne peut être complète qu'en remontant à l'origine de celle de Saint-Bertin, qui a joui d'une grande célébrité, et où furent découvertes les annales appelées de son nom Bertiniennes.

Fondé dans le milieu du VII^e siècle (on varie sur la date de 626, 640 et 662), le monastère de Sithiu, qui prit dans la suite le nom de Saint-Bertin, atteignit bientôt un degré de prospérité qui favorisa le développement intellectuel de la communauté. Saint Bertin établit lui-même une école d'où sortit, saint Winnoc, en 695, et qui fait supposer l'existence, au moins en germe, d'une bibliothèque.

La première mention expresse que l'on en trouve est le privilège accordé par Charlemagne, en 788, aux religieux de Saint-Bertin, de chasser la bête fauve dans les forêts qui leur appartiennent, tant pour couvrir leurs livres (tam ad volumina librorum tegenda) que pour se faire des gants et des ceintures. Ce privilége fut renouvelé en 821 par Louis le Pieux, à la demande de l'abbé Fridogise et pour le même motif. Mais Folquin, qui nous rapporte ce fait, suppose que l'abbé avait plutôt pour motif le désir de satisfaire ses goûts ; cependant il nous apprend que sous ce même abbé vivait un moine, nommé frère Guntbert, dont le souvenir s'était perpétué jusqu'à l'époque où vivait Folquin, c'est-à-dire en 961, et qui par son talent de calligraphe avait renouvelé la bibliothèque : « Nam monasterii hujus libraria quæ pene omnia vetustate erant demolita, quoniam peritus erat scriba, propria renovavit industria. » Il ne se contenta pas de recopier les anciens livres, mais il en ajouta de nouveaux qu'il écrivit de sa propre main : de ce nombre étaient deux antiphonaires, qu'il dédia à saint Omer et à saint Winnoc, un traité du Comput, un autre antiphonaire, dont le commencement et les hymnes des grandes solennités étaient merveilleusement ornés de lettres d'or, qu'il dédia à saint Bertin, et enfin quelques autres (insuper et alia) que l'historien juge superflu d'indiquer. (Cartulaire de l'abbaye de Saint-Bertin, par M. Guérard, pages 79, 80).

Sous l'abbé Odbert, qui administra de 986 à 1007, la bibliothèque reçut de nouveaux accroissements, et l'abbé lui-même travailla à l'enrichir. Le cartulaire ne rapporte pas ce fait, il est vrai, mais il est constaté par l'existence de deux manuscrits qui se trouvent encore à la bibliothèque : ce sont les n^os 168 et 745. Le premier contient les dialogues de saint Grégoire, à la suite desquels on trouve cette notice : « Balduinus et Ricolfus sacerdotes ac monachi hunc sancto Petro et sancto Bertino, cum voluntate abbatis Odberti, devoti contulerunt librum. » Le second renferme un Sulpice Sévère où on lit une mention analogue : « Ego Odbertus peccator absque merito abbas codicem istum, a quodam fratre et monacho nostro levitici scilicet ordinis viro jussu rogatuque nostro descriptum, huic sancto Sithiensi delegavi cœnobio. » Enfin, dans les petites annales Bertiniennes, recueillies et rédigées par D. Tassart (ms. n^o 747), on trouve, à l'année 994 : « erricus, monachus Sithiensis, jussu Odberti patris, gesta patrum eneranda suo qui sanguine fuso ecclesiam firmaverunt conscripsit et ancti servitio Bertini optulit. » Et, à l'année 999 : « Hereneus monachus loci Sithiensis, auxiliantibus Odberto patre et Dodolino, librum Davidicum perpulchrum, in quo utilia multa clericis et monachis habentur, conscripsit, sanctisque Petro et Bertino supplex reliquit. Hereneus scripsit, Odbertus pater decoravit, Dodolinus excerpsit. »

Ces faits attestent la sollicitude de l'abbé Odbert pour les besoins intellectuels de sa communauté, et le zèle qu'il apportait à enrichir sa bibliothèque ; et si l'on ne retrouve pas aujourd'hui un plus grand nombre de manuscrits anciens, il faut l'attribuer peut-être aux incendies qui, à diverses reprises, détruisirent presque entièrement l'abbaye.

Les successeurs de l'abbé Odbert suivirent son exemple ; Jean I^er, qui administra un siècle plus tard (en 1081), au dire de Simon, continuateur du cartulaire ou plutôt de la chronique de Folquin, ajouta à la bibliothèque plusieurs livres qu'il fit exécuter. C'étaient, l'Ancien Testament depuis la Genèse jusqu'aux Rois ; un recueil d'homélies pour tous les jours de l'année, en deux volumes ; le livre d'Éphrem ou des pronostics ; une concordance des Pères ; les commentaires de saint Augustin sur saint Jean ; enfin un passionnaire d'un poids énorme. Le catalogue des manuscrits de Saint-Bertin vers 1104 a été donné par D. Berthod dans le tome V des Mémoires de l'Académie de Bruxelles. Godescalc, qui fut abbé de 1163 à 1176, y joignit le décret de Gratien, les œuvres de Hugues de Saint-Victor, les gloses de Gilebert et de Pierre Lombard sur les Épîtres de saint Paul, et l'histoire évangélique et scolastique.

A partir de cette époque, on rencontre encore de temps à autre un volume écrit de la main d'un religieux ; mais ces faits isolés sont trop peu nombreux pour entrer dans l'histoire des accroissements successifs de la bibliothèque. Il faut néanmoins supposer que Jean V, surnommé Yperius, rassembla le plus de matériaux possible, c'est-à-dire de livres, pour écrire sa chronique, et qu'il l'augmenta ainsi. A la fin du XV^e siècle, la bibliothèque s'accrut considérablement par suite des acquisitions d'un frère Jean Stœf, de Bourbourg, dont le nom se trouve cité souvent dans cette mention placée au commencement et à la fin : « Liber acquisitus monasterio Sancti Bertini, per F. Johannem Stœf de Bourbourgh, ejusdem monasterii monachum. » Au XVI^e siècle, Alard Tassard, auteur des petites Annales Bertiniennes, y laissa plusieurs ouvrages de sa main, entre autres une copie de la Chronique d'Yperius, ses Annales, une copie du cartulaire de Folquin, et un ouvrage qu'il avait entrepris sur le plan du Gallia christiana, et qui embrassait l'ensemble de la chronologie chrétienne. Un siècle plus tard, Guillaume de Whitte exerça les fonctions d'archiviste, comme D. Alard Tassard ; des notes de sa main, tracées sur un grand nombre de volumes, attestent son goût pour l'étude ; il enrichit également la bibliothèque par quelques acquisitions, et lui laissa divers manuscrits, fruits de ses travaux et de ses recherches.

De ce moment, nous ne trouvons plus que des améliorations purement matérielles dans l'histoire de la bibliothèque. Benoit de Béthune des Plancques, abbé en 1677, fit relier richement un assez grand nombre de livres qui portent ses armes en or sur les plats. Son successeur immédiat, Mommelin le Riche, abbé de 1706 à 1723, fit construire une magnifique bibliothèque et fit exécuter de nouvelles reliures à deux reprises différentes, ce que l'on reconnaît à deux vignettes à ses armes, collées sur le plat intérieur : la première, de 6 à 7 centimètres, est gravée sans distinction d'émaux ; la seconde, de 12 centimètres environ, les désigne. Mais ces améliorations amenèrent malheureusement de graves mutilations : c'est sur les reliures de cette époque que l'on voit employer pour les gardes des feuillets arrachés aux manuscrits les plus anciens et les plus précieux ; l'un d'eux paraît avoir appartenu au bel antiphonaire exécuté par Guntbert et orné de lettres d'or ; les relieurs ont souvent rogné les tranches jusque dans le texte, confondu les cahiers et tronqué les titres. Enfin, peu de temps avant la révolution, on rédigea le catalogue qui sert à constater les pertes éprouvées depuis.

La bibliothèque la plus riche et la plus importante après Saint-Bertin est celle de Clairmarais, abbaye de Bénédictins de la règle de Cîteaux, située à une lieue de Saint-Omer. Les religieux Bénédictins en parlent avec éloge dans leur Voyage littéraire, et D. Martène en a tiré la Généalogie des comtes de Flandre et la Chronique d'Yperius, qu'il a publiées dans son Thesaurus novus anecdotorum, t. III. Fondée en 1140 par saint Bernard lui-même, l'abbaye de Clairmarais se forma de bonne heure une bibliothèque assez considérable. La plupart des manuscrits remontent aux XII^e et XIII^e siècles : ce sont de grands in-folio, vastes collections et floriléges où dominent les Pères de l'Église. D'épaisses peaux de sanglier, couvertes de leur poil, garnies de clous et d'attaches en cuivre, devaient les protéger contre l'action délétère du climat ; mais, malgré ces précautions, l'humidité perpétuelle qui règne dans ces contrées et la nature corrosive de l'encre les détériorèrent promptement ; un grand nombre de feuillets, surtout les premiers et les derniers, tombent en poussière sitôt qu'on les touche ; d'autres semblent déchiquetés à l'emporte-pièce. L'abbaye, située hors de l'enceinte protectrice de la ville, eut à souffrir plusieurs fois des attaques sérieuses : la bibliothèque fut incendiée par les Français pendant le siége de Saint-Omer de 1638. Les manuscrits avaient été transportés dans la ville pendant la campagne de 1710 par les soins de l'abbé, qui les fit reporter au monastère lorsque les Bénédictins de Saint-Maur se présentèrent pour les visiter. Elle contenait, au moment de la révolution, 270 manuscrits, dont il reste 117 à Saint-Omer.

Le chapitre formait dans l'origine une dépendance de Saint-Bertin, qui fut érigée en collégiale par Fridogise, abbé de 820 à 834. Sa bibliothèque renfermait une collection de manuscrits que citent avec éloge D. Berthod et les auteurs du Voyage littéraire. Il en reste encore 35 : ce sont en général de beaux volumes sur vélin du plus grand format, écrits avec soin, et que font reconnaître au premier coup d'œil de fortes reliures en veau du XVI^e siècle. Quant aux autres établissements, tels que la chartreuse de Longuenesse, le séminaire, les Dominicains, les débris de leurs bibliothèques ont trop peu de valeur, soit par le nombre, soit par la nature des livres, pour qu'on puisse s'en occuper spécialement.

En vertu de lois et d'instructions promulguées au commencement de la république, les livres de ces diverses communautés furent réunis à Saint-Bertin, afin qu'on pût inventorier les richesses littéraires provenant des établissements supprimés. Un décret du 27 janvier 1794 ayant prescrit la fondation d'une bibliothèque publique dans chaque district, les sieurs Spitaliers et Boubers, nommés commissaires par arrêté du district du 1^er mars 1794, commencèrent l'inventaire et s'occupèrent de la rédaction du catalogue. Les longues interruptions pendant lesquelles les livres et manuscrits restèrent entassés dans un local où ils se trouvaient exposés aux dévastations des souris et aux injures du temps, causèrent des détériorations considérables, qui nécessitèrent la vente au poids des livres endommagés. Enfin, le 27 mai 1794, l'agence de la conservation des armes et munitions de guerre demanda pour le service de l'artillerie tous les parchemins propres à fabriquer des gargousses, et l'arsenal de Saint-Omer reçut pour cet objet une livraison du poids de 34, 892 livres (selon M. Piers, le récépissé existe encore). Il est cependant probable qu'il périt peu de manuscrits dans cette vaste spoliation ; on peut en juger par le grand nombre de ceux qui eussent été propres à ce service, et que la bibliothèque de Saint-Omer possède encore. Il est vrai qu'au début de leur travail (19 thermidor an II), les commissaires constataient l'existence de 721 manuscrits de Saint-Bertin et 270 de Clairmarais ; mais le soin qu'ils apportèrent à s'acquitter de leur mission, leurs instances réitérées pour obtenir de l'administration centrale l'établissement définitif de la bibliothèque et préserver de plus grands dégâts la collection qu'ils avaient formée, enfin le triage qu'ils firent des livres déposés à l'arsenal, laissent supposer que la perte en manuscrits a été peu considérable. Depuis, des restitutions successives aux professeurs du collége anglais et à divers particuliers diminuèrent encore le nombre des volumes. Enfin, divers arrêtés du 3 novembre 1797 et de 1798 ayant prescrit la formation d'une bibliothèque centrale à Boulogne, M. Isnardy, désigné comme conservateur de cette bibliothèque, visita celles du département avec autorisation d'y choisir les objets les plus précieux et les plus importants pour l'établissement qu'il devait diriger. Son choix se porta sur 247 articles imprimés et 85 manuscrits, qui figurent encore actuellement sur le catalogue de Boulogne. Quelques années plus tard, en 1798 et 1799, le ministre de l'intérieur ayant accordé à la ville de Saint-Omer la faculté de fonder une bibliothèque publique, l'autorité municipale choisit pour local le collége des jésuites, où elle fit transporter les livres et manuscrits qu'elle possédait encore. Depuis cette fondation, la collection de manuscrits s'est augmentée de quelques articles, en petit nombre il est vrai, notamment, en 1811, à la mort de D. de Whitte, auteur du grand cartulaire. Aujourd'hui l'administration de la bibliothèque ne néglige aucune occasion d'acquérir tout ce qui concerne l'histoire du pays, et cherche à rassembler tous les matériaux nécessaires pour la compléter ; mais les occasions sont rares et les ressources très-limitées : il est cependant à désirer que les collections assez importantes formées par quelques particuliers ne passent pas en des mains étrangères, et qu'elles viennent un jour se réunir à celles de la ville, qui possède, en outre, des archives précieuses par leur ancienneté, le grand nombre et l'importance des chartes qu'on y a recueillies.

M. MICHELANT.

8 septembre 1845.