Eugène Daproty

Le troisième supplément au Catalogue des Manuscrits de la Bibliothèque d'Avignon comprend la notice de 1.515 manuscrits entrés à cette bibliothèque de 1910 à 1948. De cet ensemble, deux grandes collections se détachent, celle de Paul Mariéton (430 manuscrits) et celle d'Édouard Raynolt (262 manuscrits).

Paul Mariéton, né à Lyon en 1862, mort à Nice en 1911, poète et grand lettré, féru de romantisme et de félibrige provençal, disciple fervent de Frédéric Mistral, avait laissé sa bibliothèque au Museon Arlaten, dans une pensée de déférence au Maître de Maillane ; mais il avait stipulé qu'en cas de refus, et celui-ci était escompté, sa bibliothèque irait au Musée Calvet. Malgré la volonté de Mistral, cette disposition fut l'origine d'un long procès qui ne se dénoua qu'en 1920 par une transaction qui donnait au Museon Arlaten la partie de la Bibliothèque Mariéton intéressant la langue d'oc et le provençal, tandis que les autres livres, de beaucoup les plus nombreux, ainsi que les correspondances, autographes, manuscrits et archives, étaient dévolus au Musée Calvet. C'est ainsi que sont entrés à la Bibliothèque d'Avignon les manuscrits 4638 à 5067, au premier rang desquels figurent les dossiers de la correspondance de Mariéton, d'un intérêt capital pour l'histoire littéraire de la fin du XIX^e et du commencement du XX^e siècle. L'inventaire qui suit montre l'importance et la variété du reste de la collection ; on doit toutefois signaler particulièrement les riches séries des archives de l'illustre famille arlésienne des Porcellet que Mariéton avait pu acquérir de son dernier descendant (Critobule (Eugène VIAL). Paul Mariéton d'après sa correspondance. Paris, Crès, 1920, 3 vol. in-12. de la Révolution avignonnaise et surtout pour Orange. Raynolt avait eu en effet l'heureuse chance d'acquérir la bibliothèque du D^r Martial Millet. Appartenant à une vieille famille orangeoise, Millet avait passé sa vie à étudier l'histoire de sa ville natale et de la principauté. Ce minuscule État a formé longtemps comme un îlot étranger dans le Comtat Venaissin ; c'est peut-être ce qui explique pourquoi les érudits locaux se sont longtemps désintéressés de son histoire et pourquoi la Bibliothèque d'Avignon était si pauvre en documents sur ce coin du département de Vaucluse, lacune qu'a comblée l'entrée de la bibliothèque Millet, grâce au legs d'Édouard Raynolt).

La Bibliothèque d'Édouard Raynolt est entrée au Musée Calvet peu après celle de Mariéton. Raynolt (1861-1922) avait été greffier en chef du tribunal d'Avignon, puis pendant quelques années bibliothécaire de Carpentras. Son fonds de manuscrits est intéressant pour le félibrige à cause des dossiers d'Anselme Mathieu (Ms. 5149-5153), pour l'histoire.

En dehors des deux grandes collections que nous venons de citer, ce qui confère un particulier intérêt à la série dont nous présentons le catalogue, c'est qu'elle groupe les recueils de fiches et les dossiers des plus éminents érudits avignonnais de la fin du XIX^e et du commencement du XX^e siècle, sur lesquels on nous permettra de donner quelques indications.

Le chanoine Henri Requin (1851-1917), qui s'était attaché au dépouillement des riches séries notariales d'Avignon, s'était fait connaître par ses découvertes sur la peinture au XV^e siècle et sur les origines de l'imprimerie. Il avait amassé, au cours de sa laborieuse existence, une masse énorme de fiches intéressant l'histoire de l'art à Avignon, dans le Comtat et en Provence ; ces fiches devaient lui servir à rédiger un dictionnaire des artistes qu'il entreprit dans les dernières années de sa vie, mais ne put terminer. Ce travail, d'un intérêt capital malgré ses lacunes, et les quelques 20.000 fiches qu'il avait rassemblées, sont entrés à la Bibliothèque d'Avignon en 1920, grâce à l'intervention généreuse du D^r Pansier (NOTE : Maurice BARBER, La Vie et l'œuvre de M. le chanoine Requin, dans Mém. de l'Académie de Vaucluse, 1920, p. 35 et suiv.). Le chanoine Requin avait constitué un autre fichier non moins important, celui-ci consacré aux familles et aux institutions. Si ce second fichier a échappé au Musée Calvet, il n'est heureusement pas perdu et se trouve aujourd'hui aux Archives départementales de Vaucluse.

Adrien Marcel (1848-1929), ancien fonctionnaire de la Préfecture de la Seine, avait apporté sa collaboration aux publications de la bibliothèque Doucet. Dès sa retraite à Avignon, il se passionna pour les recherches dans les archives notariales. Pendant vingt ans, il reprit et développa les investigations de Requin sur les artistes locaux, qu'il étendit a l'histoire des vieux hôtels et des rues d'Avignon. Il a laissé ainsi une trentaine d'épais recueils acquis par le Musée Calvet en 1936 et dont l'intérêt est attesté par les consultations très fréquentes dont ils sont l'objet (NOTE : Ms. 5586 à 5614. Cf. H. CHOBAUT, M. Adrien Marcel (1848-1929), dans Mém. de l'Académie de Vaucluse, 1929, p. 135

Le D^r Pansier, né à Carpentras en 1864, était venu de la médecine à l'érudition historique, sans cependant abandonner la pratique d'un art qui l assurait une situation large et indépendante. Après s'être occupé d'histoire de la médecine, il s'était adonné à l'histoire locale, principalement à celle du XV^e siècle sur laquelle il a écrit de nombreux ouvrages. Il avait même fondé une revue spéciale, les Annales d'Avignon et du Comtat Venaissin, pour publier une partie de ses nombreux travaux. Dans les dernières années de sa vie, il s'était voué à l'histoire du livre à Avignon au XV^e et au XVI^e siècle et à l'histoire de la langue provençale. Il travaillait assidûment et produisait avec facilité ; aussi à sa mort, en 1934, laissait-il une masse considérable de notes et de copies accumulées pour ses publications et même certains travaux encore inédits, entre autres ses très copieuses études sur les hôpitaux et les remparts d'Avignon. Ses dossiers ont été légués en même temps que tous ses livres et sa fortune au Musée Calvet (NOTE : J. GIRARD, Notice biographique sur le Dr Pierre Pansier (1864-1934), dans Annales d'Avignon, t. XXXI, 1935-1937, p. 5-28 : Dr E. Wickersheimer, Pierre Pansier, dans Janus, 1934, p. 220-22, etc.).

Non moins laborieux a été Léon-Honoré Labande (1867-1939), qui fut conservateur de la Bibliothèque d'Avignon de 1890 à 1906, puis conservateur des Archives du Palais de Monaco et membre de l'Institut élu en 1927. Même après son départ d'Avignon, il avait continué à écrire sur l'histoire de cette ville, notamment deux magistraux ouvrages, l'un sur Avignon au XIII^e siècle, en 1908, l'autre sur Avignon au XV^e siècle, en 1920. Ce sont les notes qu'il avait réunies sur ces deux périodes que sa veuve a bien voulu donner au Musée Calvet. Une partie avait été utilisée dans ses ouvrages, mais la mort l'a empêché de réaliser la publication d'un volume, qui aurait été d'un intérêt primordial, consacré à l'histoire des institutions et des mœurs avignonnaises. Les fiches qu'il avait rédigées dans ce but en dépouillant de nombreux registres de notaires représentent donc des recherches inédites de la plus haute valeur (NOTE : Voir deux notices sur LABANDE, par J. GIRARD, dans Mém. de l'Académie de Vaucluse, 1939, p. 51-62 et dans Annales du Midi, 1942, p. 143-154. d'Avignon, formé d'imprimés et de documents manuscrits concernant l'histoire de cette ville depuis la Révolution jusqu'à nos jours (Ms. 5791-5831).

Après les fonds si importants que nous venons d'énumérer, nous devons en signaler encore trois autres, celui de Marc Deydier (1845-1920) composé de notes sur la paléontologie, la préhistoire et l'archéologie vauclusiennes (Ms. 4539-4608), celui du D^r Victorin Laval (1848-1930) consacré à l'histoire de l'Isle-sur-Sorgue (Ms. 5394-5494) et enfin celui de Louis Wyststraëte, ancien conducteur des travaux de la ville.

La variété et la qualité de ces diverses séries si heureusement réunies à la Bibliothèque d'Avignon feront du présent inventaire un instrument de travail complétant utilement les volumes du catalogue des manuscrits de la même bibliothèque publiés antérieurement par L.-H. Labande.

J. GIRARD.