[Pontifical de Lyon]

Le fonds important de manuscrits, dont le catalogue est ici présenté, a eu la bonne fortune d'être constitué et rendu public dès le milieu du XVIII^e siècle. C'est un véritable privilège dont la ville de Carpentras s'était rendue digne par son amour des livres et son zèle pour la science.

Dès le début du XIV^e siècle, nous voyons en effet en cette cité une bibliothèque formée dans la cathédrale de Saint-Siffrein, sans doute pour l'instruction des chanoines qui gravitaient autour de cette église. L'inventaire, dressé le 5 décembre 1322, par les commissaires de l'évêque et du chapitre (Cf. Inventaires du trésor de la cathédrale de Carpentras au XIV^e siècle, publiés par M. L.-H. Labande dans le Bulletin archéologique du Comité des travaux historiques et scientifiques, 1895, p. 27. — Avant cette publication, on ignorait généralement qu'il y eût à Carpentras, dès le XIV^e siècle, un dépôt de livres), nous révèle que le sacristain avait la garde du trésor et de cinquante-cinq manuscrits. Ceux-ci comprenaient sans doute bien des livres liturgiques, mais à côté se trouvaient également plusieurs ouvrages des plus appréciés de S. Augustin, d'Origène, de S. Césaire, de S. Grégoire, de S. Anselme et de S. Jérôme, une Bible, des commentaires sur les livres sacrés, des vies de saints, enfin des Institutiones ecclesiae Carpentoractensis, qui paraissent aujourd'hui perdues.

Déjà à cette époque le chapitre de Saint-Siffrein confiait à l'évêque, en son palais, une partie de ses ornements et de son trésor. Beaucoup des manuscrits que continuèrent à recueillir les chanoines prirent le même chemin, et ce n'étaient certes pas les moins intéressants. Un second inventaire, rédigé le 22 mars 1357, à l'occasion du départ de l'évêque Geoffroi, transféré à Carcassonne, et de l'intronisation de son successeur, nous en donne une preuve non équivoque (Cf. Inventaires déjà cités, p. 33. — L'incertitude sur le commencement de l'année dans le Comtat avait fait dater ce 2^o document de 1356 ; cependant les pièces d'archives de Carpentras, que nous avons consultées à cet effet, principalement les registres de délibérations et les comptes, prouvent qu'en cette ville l'année commençait au 25 mars. Dans la ville voisine d'Avignon, au contraire, elle partait du 25 décembre).

A cette date, le palais épiscopal renfermait soixante et un manuscrits appartenant au chapitre (Il n'y en pas que l'on puisse identifier d'une façon certaine avec les cinquante-cinq désignés en 1322). S'il y avait parmi eux aussi des Missels, des Psautiers, des Pontificaux, des Bréviaires et autres livres liturgiques, la grande généralité était constituée par des Bibles, des Sermonnaires, des Commentaires sur la Sainte Écriture, des ouvrages de Bernard Gui (La Chronica summorum pontificum, portée au n^o 7, est probablement de lui), de Pierre Lombard (Liber Sententiarum glosatus), d'Étienne de Bourbon (Le Liber de dono timoris, porté au n^o 9, est sans aucun doute l'ouvrage de cet auteur sur les sept dons du S. Esprit), de Jordanus Rufus (Liber de doctrina equorum et avium), d'Honoré d'Autun (Liber qui vocatur Elucidarius), de S. Augustin (Liber regulae B. Augustini), de S. Bernard (Liber B. Bernardi ad Eugenium papam), d'Hugues de SaintVictor (Liber de Sacramentis), etc.

Que sont devenues ces précieuses collections ? Que sont devenus aussi les livres que, au siècle suivant, avait réunis l'évêque Georges d'Ornos ?

Le testament de ce prélat (Cette bibliothèque de l'évêque Georges d'Ornos est bien connue de tous ceux qui ont écrit sur Carpentras ; cependant aucun auteur n'a encore donné tous les détails que nous avons relevés dans les documents contemporains. Nous croyons donc devoir y insister. — Sur cette bibliothèque, cf. comme ouvrages imprimés, Ch. Cottier, Recueil de divers titres sur lesquels sont fondés plusieurs droits et privilèges dont jouit la ville de Carpentras (Carpentras, Quenin, 1782, in-4^o), p. LII, réimprimé en 1827 chez Devillario-Quenin, sous le titre de Notice historique sur la ville de Carpentras, p. 111 ; Notes historiques concernant les rec teurs du ci-devant comté Venaissin, p. 130 ; — D.-V.-H. Chambaud, Notice sur les bibliothèques anciennes et modernes du département de Vaucluse (extrait du Messager de Vaucluse, n^os 235 et 239, mars 1839), p. 12 ; — C.-G.-A. Lambert, Catalogue des ... manuscrits de la Bibliothèque de Carpentras, t. I, p. I ; — J. de Terris, Les évêques de Carpentras, dans le Bulletin historique et archéologique de Vaucluse, t. VII, p. 108 ; — J. Liabastres, Histoire de Carpentras, p. 37), recueilli par le notaire Jean Morel, le 4 novembre 1452, portait attribution de sa bibliothèque à l'œuvre de la nouvelle cathédrale de Saint-Siffrein, dont la première pierre avait été posée en 1404, et il stipulait que les recteurs (Ces recteurs étaient au nombre de quatre, dont deux étaient les représentants de la ville : c'est ce qui explique le rôle joué dans toute cette affaire par les syndics et conseillers de Carpentras) de cette œuvre auraient à les vendre pour en appliquer le prix à la reconstruction de l'église. Aussitôt après la mort de l'évêque, les recteurs entrèrent en possession des volumes et s'empressèrent d'en aliéner un certain nombre : dès le 17 décembre 1452, Jean de Rossa, « operarius » de Saint-Siffrein, livrait quarante-six manuscrits à Accurse de Pazzis (Archives municipales de Carpentras, BB 71, fol. 83 v^o). Mais il semble que l'importance de cette collection épiscopale ait soulevé presque immédiatement des protestations contre sa dispersion ; du moins on peut le supposer de ce fait que, le 4 mars 1453, le pape réclamait qu'on lui envoyât les livres du défunt (Ibidem, fol. 87).

L'attention des habitants de la ville fut donc attirée sur eux d'une façon toute particulière, et l'on se préoccupa dès lors de conserver pour Carpentras un trésor qui excitait de telles convoitises. Une réunion eut lieu à ce sujet (Nous n'en connaissons pas la date, mais ce fut certainement après le 4 mars 1453 et avant le 20 novembre 1458. Le texte que nous donnons ci-après porte que cette délibération est conservée dans les registres de la ville : nous ne l'y avons pas retrouvée) ; y assistèrent le nouvel évêque, Michel Anglic ; Jacques Buchet, lieutenant du recteur ; Roger de Foix, quelques chanoines et bénéficiers de Saint-Siffrein, les syndics et conseillers de la ville et les recteurs de l'œuvre. On y décida de conserver les livres qui n'étaient pas encore vendus, pour l'instruction de toute personne qui voudrait les utiliser, et de les enchaîner dans la librairie (Cette expression indique que la cathédrale possédait encore des livres et qu'elle n'avait pas perdu tous ceux qui sont mentionnés au XIV^e siècle. On verra plus loin que ce n'est pas seulement une hypothèse, et que ces ouvrages étaient déposés dans la vieille sacristie) de la cathédrale. Cette dernière disposition fut sans doute l'objet d'une délibération particulière, qui fut prise le 20 novembre 1458 (Auparavant, une autre délibération, prise par les conseillers de la ville, le 27 juin 1457, avait intimé aux exécuteurs testamentaires de l'évêque de rendre leurs comptes, et aux détenteurs des joyaux et des livres de les restituer (Archives municipales de Carpentras, BB 75, fol. 53 v^o)) et dont voici le texte :

Super libris, qui fuerunt domini Georgii, quondam episcopi Carpentoractensis, datis ecclesie.

Quia per dictum quondam dominum Carpentoractensem episcopum fuerunt in sua ultima dispositione sive voluntate dimissi certi libri operi ecclesie nove Carpentoractensis et deinde per dictos operarios et consilium presentis civitatis ordinati poni in choro ejusdem ecclesie (Cette phrase vise la première délibération dont nous ignorons la date, signalée ci-dessus), ob quod concluserunt quod ponantur in dicto choro et incathenentur bene et firmiter cathenis ferreis, nec per quemvis petentem descazernentur nec evellantur sine licencia et consensu consilii presentis civitatis et operariorum ejusdem ecclesie (Archives municipales de Carpentras, BB 76, fol. 99).

Mais cette opération ne fut pas effectuée aussitôt qu'on pourrait le croire. Elle se compliqua même d'une autre question relative à la bibliothèque que possédait déjà le chapitre depuis plus d'un siècle et qui, conservée dans un endroit humide, l'ancienne sacristie, avait besoin d'un nouveau local.

L'évêque Michel Anglic entreprit alors d'aménager cette librairie dans la chapelle de Sainte-Anne (Lambert, Catalogue, t. I, p. II, n. 3, fait remarquer que « cette chapelle, située à côté du chœur, est la seule qui soit assez vaste pour un établissement de ce genre et où l'on puisse pénétrer de l'extérieur sans être obligé de traverser la nef ») ou au-dessus. Il soumit son projet au conseil de la ville de Carpentras, qui, le 2 mars 1460, lui accorda en ces termes l'autorisation de le mettre à exécution :

Super libreria ecclesie Carpentoractensis.

Expositum fuit per dictum dominum doctorem et consindicum (Siffrein de Laplane, jurisconsulte et syndic de la ville), reverendum in Christo Patrem dominum Carpentoractensem episcopum construi et facere velle unam librariam ecclesie Carpentoractensis super cappella Beate Anne, ad reponendum ibidem dictos libros, qui sunt in sacristia antiqua in loco humido, quod cedit in grande prejudicium et consummacionem eorumdem librorum, nisi celeriter super hoc provideatur, et super qua vellet habere consilium cum dictis sindicis et consilio ordinato. Quibus auditis et discursis vocibus more solito, tandem concluserunt de unacum consensu, actenta bona affectione quam dictus dominus episcopus habet erga dictam ecclesiam, quod ipse dominus episcopus dictam librariam faciat ad sui beneplacitum in dicta cappella Beate Anne vel alibi, ubi sue reverende Paternitati melius visum fuerit (Archives municipales de Carpentras, BB 77, fol. 104 v^o).

Les travaux furent menés rapidement, et dès leur achèvement surgit une nouvelle proposition de l'évêque : c'était de réunir dans cette nouvelle librairie les livres de Georges d'Ornos avec ceux du chapitre de la cathédrale, et cela afin d'en faciliter la lecture et l'étude. Les conseillers de la ville de Carpentras n'y virent aucun inconvénient ; ils donnèrent donc leur approbation, le 8 avril 1460, et ils posèrent les conditions qui sont énoncées dans la délibération suivante :

Super libris reponendis in libreria ecclesie Carpentoractensis, qui fuerunt condam bone memorie domini Georgii, episcopi Carpentoractensis.

Exposuit ibidem nobilis Guillelmus Bruni, consindicus, qualiter reverendus in Christo Pater dominus Carpentoractensis episcopus petit redduci et repponi in libreria noviter facta, videlicet supra cappellam Beate Anne, certa volumina librorum per condam bone memorie dominum Georgium, episcopum Carpentoractensem, operi novo dicte ecclesie donata, et deinde per consilium ville et operarios dicte ecclesie retenta ad affectum predictum, videlicet ponendi illa in dicta libreria utque clerici et ecclesiastici universitatis Carpentoractensis, volentes illa videre, legere et in eisdem addiscere, illis gaudere possint. Super quibus fuerunt discurse voces consulum, et tandem per eos de unacum consensu conclusum et deliberatum extitit quod dicti libri, pro honore et decore civitatis, reponantur et reducantur in dicta libreria, et quod prefatus reverendus dominus episcopus et canonici recognoscant illos habuisse de dicta executione, videlicet tam per manus universitatis quam operariorum predicti operis, et quod inicio sive fine cujuslibet voluminis sive libri describatur sic : Iste liber fuit datus operi novo hujus ecclesie per condam bone memorie dominum Georgium, episcopum Carpentoractensem, et quod incathenentur bene et firmiter in dicta libreria, nec unquam ab ea eiciantur seu evellantur sive discazernentur per quemcumque petentem, seu copiare aut copiari facere volentem, nisi sit de consensu consilii universitatis et operariorum dicti operis pro tunc existencium. Et cum hiis revocetur pena excommunicationis, alias nobili Christoforo de Greignano et sociis suis, dum fuerunt dicta volumina sibi in custodiam et comendam tradita, quatinus illa nulli alteri quam ad actum predictum dare seu expedire haberent, apposita (Archives municipales de Carpentras, BB 77, fol. 107 v^o).

Sous le bénéfice de ces conditions, le transfert des livres de Georges d'Ornos dans la nouvelle bibliothèque de la cathédrale et leur enchaînement sur les rayons furent bientôt un fait accompli. Voici en entier l'acte qui fut dressé à cette occasion (16 avril 1460). Il est curieux à plus d'un titre, d'abord parce qu'il donne la nomenclature de tous les volumes. On y remarquera, en outre, que, conformément à la délibération prise le 20 novembre 1458, on fixa par des chaînes, dans le chœur de l'église Saint-Siffrein, trois volumes : les deux premiers, formant l'Opus aureum S. Thomae de Aquino super quatuor evangelia, étaient estimés à la somme relativement considérable de cent florins ; le troisième, donnant le texte des commentaires du même S. Thomas sur le deuxième livre des Sentences (Les manuscrits contenant les commentaires de S. Thomas sur les livres 1, 3 et 4 des Sentences furent placés avec les autres volumes de la bibliothèque), n'était estimé que vingt-cinq. Il semble que ces seuls manuscrits aient été séparés du reste de la bibliothèque, afin de rappeler davantage le souvenir de l'évêque d'Ornos.

In nomine Domini, amen. Anno a nativitate ejusdem Domini millesimo quadragentesimo sexagesimo et die intitulata sexta decima mensis aprilis, indictione vero octava cum eodem anno sumpta, pontificatus sanctissimi in Christo Patris et domini nostri domini Pii, divina Dei providentia pape secundi, anno secundo. Noverint universi et singuli, presentes pariter et futuri, tenorem hujus publici instrumenti inspecturi et etiam audituri, ut cum bone memorie reverendus Pater dominus Georgius Dornos, episcopus tunc Carpentoractensis, in sua ultima dispositione, antequam dies suos claudereextremos, dederit et donaverit operi et fabrice nove sue ecclesie cathedralis Carpentoractensis omnes et singulos libros suos, cujuscumque facultatis aut strenue (sic, pour sciencie) essent, prout enim de donatione hujusmodi inter cetera in hujusmodi sua ultima dispositione contenta constare dicitur instrumento publico, inde per discretum virum magistrum Joannem Morelli, notarium publicum, habitatorem Carpentoractensem, sumpto, suscripto et signato, sub anno Domini millesimo quadragentesimo quinquagesimo secundo et die quarta mensis novembris, cumque ex post, post aliquod temporis intervallum, habitoque ac tento concilio et deliberatione maturis in domo episcopali Carpentoractensi, tam coram reverendo Patre in Christo et domino domino Michaele Anglici, Dei gratia episcopo moderno Carpentoractensi, quam et coram venerabili et circumspecto viro domino Jacobo Bucheti, licentiato in legibus, locumtenente tunc reverendi Patris domini Rogeri, Tarbiensis episcopi, rectoris tunc comitatus Venaissini pro domino nostro Papa et sancta Romana Ecclesia, in quo quidem concilio interfuerunt honorabiles viri domini canonici dicte ecclesie cathedralis Carpentoractensis, vice et nomine capituli ipsius ecclesie, necnon diversi domini beneficiati in eadem ecclesia, etiamque interfuerunt honorabiles viri domini sindici et consiliarii presentis civitatis Carpentoractensis, ac domini operarii dicti operis nove ecclesie predicte, qui pro tunc erant, diversique cives alii dicte civitatis, et hoc de et super materia librorum supramentionatorum adhuc temporis ad vendendum restantium, cum jam per antea diversi alii libri dicti quondam domini episcopi per operarios predictos venditi essent, fuerit tunc in consilio hujusmodi per omnes predictos dominos canonicos et beneficiatos, sindicosque, consiliarios, operariosque predictos ac ceteros alios cives et habitatores Carpentoractenses, ibidem tunc in hujusmodi consilio presentes, quatenus tamen unumquemque statum predictorum omnium in eodem consilio existentium negotium hujusmodi tangebat aut in futurum qualitercumque tangere posset, determinatum et conclusum, nemine discrepante, videlicet quoad eruditionem et doctrinam tam ecclesiasticarum personarum, necnon quorumcumque civium et habitatorum Carpentoractensium, seu aliorum quorumcumque, sive sint clerici, sive laici, aut alterius cujuscumque status, gradus seu conditions, presentium et futurorum, et ad futuram memoriam donationis prefate per supra memoratum quondam reverendum Patrem dominum Georgium, episcopum, eidem operi nove ecclesie predicte Carpentoractensis facte, scilicet quod certi libri predicti inferius particulariter designati, de supradictis aliis dicti quondam domini Georgii, episcopi, adhuc, ut premittitur, restantes ad vendendum, remanerent et remanere deberent ad usum et servitium dicte ecclesie Carpentoractensis, ac ad eruditionem et doctrinam quorumcumque, ut dictum est, incatenari deberent in libraria ipsius ecclesie, prout enim sic et alias latius de premissis constare dicitur in libris consiliorum universitatis prefate civitatis Carpentoractensis.

Hinc siquidem fuit et est quod, anno et die superius in presentis publici instrumenti principio descriptis, in mei notarii publici et testium suscriptorum presentia, providi et discreti viri domini Joannes Juliani, canonicus dicte ecclesie, et dominus Guido Fabri, presbiter in ipsa ecclesia beneficiatus, ipsi enim domini ut et tanquam operarii supradicti operis novi ipsius ecclesie, pro parte cleri supradicte civitatis Carpentoractensis deputati, necnon dominus Joannes de Plana, jurisperitus, et magister Joannes de Rossa, notarius, cives Carpentoractenses, ut et tanquam operarii dicti operis, et hoc pro parte universitatis ejusdem civitatis Carpentoractensis deputati, dicti vero quatuor operarii, in executionem determinationis in consilio supramentionato, ut dictum est, facte, ac in presentia et de voluntate supranominati reverendi Patris et domini domini Michaelis, Carpentoractensis episcopi moderni, libros hujusmodi inferius sequentes designatos tradiderunt et posuerunt in choro ecclesie predicte, ac eos alligari et incathenari fecerunt cum cathenis ferreis, ad laudem et servitium Dei omnipotentis, et ad doctrinam et eruditionem quorumcumque ad ipsam ecclesiam confluentium.

Et primo enim, alligari et incathenari fecerunt, in dicto choro ecclesie predicte, quemdam librum, in quo est collectio universalis omnium sanctorum doctorum qui textus quatuor Evangelistarum glossarunt et declararunt, et in qua collectione et declaratione in presenti volumine ipsius libri est declaratio dictorum dominorum doctorum facta super evangeliis Matthei et Marchi, et in secundo volumine est declaratio facta per dictos sanctos doctores super evangeliis Luce et Joannis, et quam collectionem dictorum duorum voluminum fecit et aggregavit ille excellentissimus doctor in sacra pagina, videlicet sanctus Thomas de Aquino. Que quidem duo volumina librorum fuerunt appretiata communiter ad valorem centum florenorum, valoris cujuslibet viginti quatuor solidorum argenti, monete currentis in comitatu Venaissino.

Item, alligari et incathenari fecerunt dicti operarii, in choro predicto, quendam alium librum qui intitulatur Secundum scriptum dicti sancti Thome super secundo libro Sententiarum ; et fuit appretiatus ad viginti quinque florenos.

Preterea autem sequuntur designationes librorum aliorum, per dictum quondam dominum Georgium episcopum supradicto operi nove ecclesie predicte, ut supra factum est, donatorum, et qui libri fuerunt per supramemoratos quatuor operarios dicti operis, etiam de voluntate prefati reverendi Patris domini Michaelis, episcopi moderni, ac in presentia ipsius domini episcopi, venerabiliumque virorum domini Petri Auberti, licentiati in decretis, domini Joannis Juliani, domini Antonii Durandi et domini Fulconis Aydinii, canonicorum dicte ecclesie, necnon et dominorum aliorum beneficiatorum in eadem ecclesia suscriptorum, videlicet Thome Fouchery, Bartholomei Griny, Antonii Fenerery, Jacobi Garrige, Petri de Villamorlia, Jacobi Tornatoris, Siffredi de Gigondacio, Pontii de Mazano, Petri Filhastre, Claudii Antonii, Joannis de Blanchiis, Petri Fromondii, Petri Chautardi, Guillelmi Potoni, Petri Uteti, Petri Amadesii, Thibaudi Piliarditi et Siffredi Bernardi, necnon et de voluntate honorabilium virorum domini Siffredi de Plana, legum doctoris, et Guillelmi Bruni, sindicorum dicte civitatis Carpentoractensis, ac Berengarii Bernardi, speciatoris, predicte universitatis Carpentoractensis thesaurarii, nonnullorumque aliorum civium dicte civitatis Carpentoractensis ibidem existentium, repositi, anno et die quibus supra, atque incatenati in quadam libraria de novo per supramemoratum reverendum Patrem dominum Michaelem episcopum noviter facta, in quadam capella ecclesie predicte, intitulata Sancti Jacobi seu Sancte Anne.

Et primo enim, fuit incatenatus liber intitulatus Diversa opera magistri Ricardi de Sancto Victore, appretiatus ad centum florenos.

Item, fuit incatenatus liber appellatus Prima pars domini Hugonis de Sancto Victore, appretiatus ad centum florenos.

Item, fuit incatenatus liber intitulatus Secunda pars dicti domini Hugonis de Sancto Victore, appretiatus ad alios centum florenos.

Item, fuit incathenatus liber intitulatus Primum volumen Tabule originalium, appretiatus ad centum florenos.

Item, fuit incatenatus liber intitulatus Secundum volumen Tabule originalium, appretiatus ad centum florenos.

Item, fuit incathenatus liber continens Declarationes figurarum Biblie, appretiatus ad centum florenos.

Item, fuit incathenatus liber appellatus Primum scriptum sancti Thomae super primo libro Sententiarum, appretiatus ad viginti quinque florenos.

Item, fuit incatenatus liber intitulatus Tertium scriptum sancti Thome super tertio libro Sententiarum, appretiatus ad viginti quinque florenos.

Item, fuit incatenatus liber intitulatus Quartum scriptum sancti Thome super quarto libro Sententiarum, appretiatus ad quinquaginta florenos.

Item, fuit incatenatus liber continens Consilia (sic) Basilee, appretiatus ad centum florenos.

Item, fuit incathenatus liber intitulatus De rerum (Sic, sans doute pour De [natura] rerum.), extimatus ad centum florenos.

Item, fuit incathenatus liber intitulatus Textus quatuor librorum Sententiarum, extimatus ad quinquaginta florenos.

Item, fuit incathenatus liber Historiarum scholasticarum, appretiatus ad quinquaginta florenos.

Item, fuit incatenatus liber sancti Augustini contra Pelagianos, appretiatus ad quinquaginta florenos.

Item, fuit incathenatus liber intitulatus Liber tractatus moralis de septem vitiis, appretiatus ad quinquaginta florenos.

Item, fuit incathenatus liber intitulatus De virtutibus Psalmorum, appretiatus ad decem florenos.

Item, fuit incathenatus liber intitulatus Liber magistri Guillelmi de Mondragoto (sic), appositus super electionibus faciendis et earum precibus ordinandis, appretiatus ad quinque florenos.

Item, fuit incathenatus liber intitulatus Ysidorius (sic) Ethymologiarum, appretiatus ad quadraginta florenos.

Item, fuit incathenatus liber intitulatus Sermones feriales Voraginis, extimatus ad quinque florenos.

Item, fuit incatenatus liber intitulatus Baco super expositionibus vocabulorum Biblie, estimatus ad duodecim florenos.

Item, fuit incathenatus liber intitulatus Sermones Mauritii, estimatus ad sex florenos.

Item, et fuit incathenatus liber intitulatus Compendium theologie, estimatus ad octo florenos.

Item, fuerunt traditi et repositi in dicta libraria libri sequenter designati, qui non fuerunt incatenati defectu cathenarum. Et primo, Isidorus, De summo bono.

Item, Prefatio Bernardi ad Eugenium.

Item, Psalterium abreviatum, in papiro.

Item, Suffragia monachorum.

Item, unum Missale abreviatum.

Item, auctores summe Titi Livii prime decade.

Quos quidem libros superius designatos supranominati domini canonici et beneficiati ecclesie prefate cathedralis Sancti Siffredi Carpentoractensis, necnon domini sindici dicte civitatis Carpentoractensis superius nominati, in quantum tamen negotium hujusmodi ipsos dominos omnes, videlicet canonicos, beneficiatos et sindicos, conjunctim vel divisim, tangit aut tangere in futurum poterit, suos tam in dicta ecclesia quam et regimine civitatis predicte Carpentoractensis successores quoscumque, habuisse et recepisse a supranominatis quatuor dominis operariis prefate ecclesie Carpentoractensis, ibidem presentibus et pro se et suis stipulantibus et recipientibus, confessi fuerunt, et de dictis libris se tenentes pro contentis, ipsos operarios quitaverunt, liberaverunt penitus et perpetuo absolverunt, cum pacto de aliquid ulterius dictorum librorum occasione non petendo, et promiserunt ac convenerunt dicti domini canonici, beneficiati et sindici prefatis operariis contra hec nullatenus venire per se seu successores suos. Quibus vero omnibus itaque gestis, ibidem et incontinenti, supranominatus reverendus Pater dominus Michael episcopus inhibuit per expressum quibuscumque dominis canonicis et beneficiatis in ipsa ecclesia, presentibus et futuris, sicuti et ceteris civibus et habitatoribus Carpentoractensibus, presentibus etiam et futuris, ac etiam aliis quibuscumque personis, cujuscumque status, gradus aut dignitatis existant, ne ad evulsionem seu amotionem hujusmodi librorum, ut permittitur, incatenatorum, aliorumque etiam non incathenatorum, procedant seu procedere acceptent aut presumant, in totum seu in parte, et hoc sub pena excommunicationis seu anathematis, qua excommunicatione, prout ex tunc et ex tunc prout ex nunc, in eos et ipsorum quemlibet protulit in scriptis, nisi tamen hoc esset de voluntate et consensu expressis ejusdem reverendi Patris domini episeopi et suorum in eadem ecclesia successorum, sicuti et dominorum canonicorum et beneficiatorum ipsius ecclesie, dominorumque etiam sindicorum et consilii dicte civitatis Carpentoractensis, ac operariorum operis predicti, presentium et futurorum, ac majoris et sanioris partis omnium personarum predictarum. De quibus vero omnibus universis et singulis supradictis et factis, dicti operarti, vice et nomme dicti operis, ac etiam nominibus suis propriis, sicuii et domini sindici universitatis supradicte civitatis Carpentoractensis, pro interesse ejusdem universitatis, sibi fieri petierunt publicum et publica instrumentum et instrumenta, unius et ejusdem tenoris, ad dictamen cujascumque sapientis in jure, facti tamen substantia nullatenus mutata, per me notarium publicum suscriptum.

Acta fuerunt hec enim Carpentoracte, in dicta ecclesia cathedrali Sancti Siffredi, scilicet infra librariam supradictam, presentibus vero ibidem discretis viris domino Pontio Bermundi, jurisperito, nobili Christophoro de Grignano et magistro Petro de Astiis, tam de Carpentoracte quam habitatore, testibus ad premissa vocatis.

Et me Martiale Bonneti (Le texte que nous venons de reproduire ici se trouvait, paraît-il, autrefois dans les archives de la ville de Carpentras. Il semble en avoir disparu, car nous ne l'avons pas retrouvé. Heureusement, il a été copié au XVIII^e siècle par J. Fornéry, qui en a fait la 70^e pièce justificative de son Histoire ecclésiastique et civile du comté Venaissin et de la ville d'Avignon. Il a été publié, mais seulement par extraits, par Lambert, Catalogue, t. III, p. 408)...

La multiplication des livres par l'imprimerie devait fatalement amoindrir l'intérêt et l'utilité immédiate de cette précieuse collection de manuscrits (Tous les auteurs ont répété que l'évêque Michel Anglic, décédé en 1471, avait fondé, lui aussi, une bibliothèque publique. Ils ont certainement établi une confusion avec le rôle joué par ce prélat lors de la réunion des livres du chapitre et de ceux de Georges d'Ornos dans la chapelle de Sainte-Anne). Malgré toutes les précautions prescrites en 1458 et 1460, la bibliothèque fut dispersée, comme beaucoup d'autres du même genre, et au XVII^e siècle on en avait même perdu le souvenir (« Il n'en est pas même fait mention dans un ouvrage inédit composé vers le milieu du XVII^e siècle, et dont l'auteur, Antoine Barbier de Valaisse, a minutieusement décrit toutes les chapelles de Carpentras. » (Lambert, Catalogue, t. I, p. III.)).

Cependant si les couvents et communautés religieuses de Carpentras ne paraissent pas avoir eu la préoccupation de former d'importantes « librairies », les évêques, qui occupèrent le siège de Saint-Siffrein, continuèrent à montrer leur goût pour les travaux intellectuels et leur affection pour les livres. Il suffit de rappeler ici les noms du cardinal Jacques Sadolet, de Paul Sadolet, du cardinal Bichi, etc. On sait que le cardinal Sadolet avait réuni à Rome une très riche bibliothèque, et que le navire auquel il l'avait confiée pour la ramener dans sa ville épiscopale sombra dans la Méditerranée. Ce fut sans doute une grande perte pour les Carpentrassiens, qui avaient pu espérer profiter de ces collections.

***

Il était réservé à un successeur de Georges d'Ornos, de Michel Anglic et du cardinal Sadolet, de fonder un établissement durable et de doter sa patrie d'une institution qui fait encore sa richesse et sa gloire.

Dom Malachie d'Inguimbert (Sur cet évêque, cf. Mémoire historique sur la vie et les écrits de dom M. d'Inguimbert, évêque de Carpentras, par l'abbé J.-D. Fabre de Saint-Véran, ... publié... par C.-F.-H. Barjavel... (Carpentras, Devillario, 1859, in-8^o). Voir encore Maxime Pazzis, Éloge en forme de notice historique de Malachie d'Inguimbert (Carpentras, J.-A. Proyet, an XIII, in-8^o) ; abbé R. Cavaillon, Histoire de Mgr d'Inguimbert ; etc.), né à Carpentras, le 26 août 1683, s'était rendu de bonne heure en Italie, après avoir poussé de sérieuses études à Aix et Paris. Le grand-duc de Toscane, Cosme III, ami des sciences et des lettres, le fixa d'abord à Pise, où il lui donna une chaire de théologie ; mais le futur évêque, ayant revêtu la robe des Trappistes, quitta l'Université pour le cloître, où il composa quelques-uns de ses ouvrages. Il en fut arraché par la faveur du cardinal Annibal Albani, neveu du pape Clément XI, qui le fit venir à Rome pour écrire l'histoire de son oncle. Après s'être brouillé avec son éminent protecteur, il passa dans la maison du cardinal Corsini, dont il devint le bibliothécaire. On sait que les collections bibliographiques de ce prince de l'Église, enrichies des livres du cardinal Gualteri, achetés sur les instances de d'Inguimbert, ont été rendues publiques. Corsini, devenu pape sous le nom de Clément XII, chargea de dignités son bibliothécaire. Après lui avoir donné l'archevêché de Théodosie, il lui conféra, en 1735, l'évêché de Carpentras.

D'Inguimbert quitta immédiatement la Ville éternelle et les honneurs qu'il était en droit d'y attendre, pour se consacrer aux devoirs de son épiscopat. Mais il prit soin de rapporter avec lui la bibliothèque particulière qu'il avait déjà formée en Italie et qui comprenait environ 4,000 volumes. On conserve encore dans les archives municipales de Carpentras (Où il est coté DD 32. Il a pour titre : « Catalogo de' libri della biblioteca di M^re d'Inguimbert, arcivescovo, vescovo di Carpentras. » — A côté se trouve une autre copie non authentique de cet inventaire, et intitulée : « Catalogue des livres de Mgr d'Inguimbert ... avec le rolle des effets qu'il a apportés de Rome ») le catalogue qu'il en fit dresser par Jean-Pierre d'Aurel, prévôt de sa cathédrale, et par l'avocat fiscal de la Chambre apostolique de Carpentras. Il ordonna de transcrire aussi dans ce document la nomenclature complète de tous les meubles qui lui appartenaient, tableaux, estampes, « figure antiche rappresentanti molte divinità gentili di bronzo », crosses épiscopales, ornements d'église, pièces d'orfèvrerie, joyaux, etc. Il eut enfin la prévoyance de faire reconnaître par le trésorier de la Chambre apostolique de Rome que tout cela était bien à lui et qu'il avait le droit d'en disposer (29 juillet 1737) (Acte enregistré et confirmé par le pro-légat d'Avignon, le 26 août suivant). C'est qu'en effet il avait déjà la pensée d'effectuer la fondation qui devait perpétuer son nom et illustrer sa mémoire (Même pour sa bibliothèque particulière, avant l'acquisition de la collection de Mazaugues, d'Inguimbert avait un bibliothécaire : c'était un prêtre romain, Simon Ballarini, qui retourna en Italie en 1744. Il devint plus tard bibliothécaire de la Barberine et bénéficier de Saint-Jean de Latran. Cf. Barjavel, Mémoire historique..., p. 296).

Les revenus de son évêché et des nombreux bénéfices qu'il possédait s'élevaient à un chiffre fort respectable : à 80,000 livres, s'il faut en croire certains auteurs. D'Inguimbert, qui vécut toujours en trappiste, résolut de consacrer ses richesses au plus grand profit de son peuple. Nous n'avons pas à rappeler ici le souvenir de ses bienfaits, ses largesses aux églises, la création d'un magnifique hôpital ; nous n'avons à raconter que l'histoire de l'établissement scientifique qu'il donna à ses concitoyens.

Le premier fonds, constitué par son apport de Rome, reçut bientôt un splendide accroissement. En 1745, d'Inguimbert apprenait la mise en vente d'une des plus belles bibliothèques provençales : celle du président de Mazaugues. Il la connaissait mieux que de réputation, pour l'avoir fréquentée jadis. Il savait que Louis Thomassin de Mazaugues, neveu par alliance du fameux Peiresc, avait réuni en son hôtel une collection d'ouvrages des mieux choisis ; il savait que Henri-Joseph, président au parlement d'Aix, avait marché sur les traces de son père et qu'il avait considérablement accru le trésor dont il avait hérité. Or, Henri-Joseph était mort le 17 février 1743, et son frère et héritier, M. de Thomassin-Bargemont, n'avait pas les mêmes goûts. Dom Malachie d'Inguimbert n'eut donc pas d'hésitation ; mais laissons parler son neveu et biographe, l'abbé Fabre de Saint-Véran : « Lorsqu'il fut informé que cette bibliothèque était en vente, il se transporta à Aix, quoique déjà fort âgé, vit les objets qu'il voulait acquérir et conclut son marché (Au prix de 40,000 livres, selon certains auteurs ; au prix de 45,000, selon d'autres). Sans retard, il fit emballer les livres, les manuscrits et tout ce qu'il y avait de rare, et en fit charger douze charrettes, qui prirent de suite la route de Carpentras. Bien lui en prit d'avoir été diligent. Le parlement de Provence, qui connut bientôt la faute qu'il avait faite en laissant échapper ce trésor littéraire, était dans la disposition d'empêcher que cette perte ne fût consommée ; mais les voitures, ayant déjà passé la Durance, se trouvèrent heureusement hors de sa juridiction (Mémoire historique..., p. 77). »

C'était une magnifique opération, dont l'évêque éprouva le plus vif contentement. Il s'empressa d'en faire part au pape Benoît XIV, avec lequel il entretenait une correspondance suivie, et s'expliqua encore mieux sur les raisons qui l'avaient déterminé à agir ainsi, dans une lettre adressée au souverain pontife, qui l'avait remercié du don de deux manuscrits (Cette lettre de remerciements de Benoît XIV est du 29 juin 1745. Elle commence ainsi : « Ci sono giunti due tomi di manuscritti ch' ella ci ha regalati... » (Bibliothèque de Carpentras, ms. 628, fol. 373)). Voici cette lettre, dont le texte est resté inédit ; elle fut écrite le 29 juin 1745 :

Rendo umilissime grazie alla Santità Vostra delle somma clemenza con laquale si è degnata gradire alcuni pochi manoscritti, che si sono ritrovati nella libreria in quest' anno da me acquistata. Questa sola idea del gradimento benignissimo della Santità Vostra è più che bastante a allegirere il grave piso di tanti incomodi presi e di si grandi spese fatte non solamente per la compradi una casa assai vasta, contigua al vescovado, ma sopratutto per la fabbrica intera di un' edifizio capace di contenere sopra sessanta due mila volumi di libri, manoscritti, miscellanee e raccolte fatte nel decorso di poco meno di quattro secoli da varj litterati di primo rango. El che tutto tutto, senza dubbio, meglio sta, per varj giusti riflessi, negli Stati della Santità Vostra che nel dominio del rè di Francia, il quale, per mezzo del gran cancelliere si è dolsuto gravemente con l'intendente generale e col parlamento di Provenza della trascuraggine con laquale avevano lasciato scappare un tesoro di tanto prezzo.

Mi convenne, Beatissimo Padre, affrettarmi per fare sollecitamente questa compra per due motivi, che sperὸ che la Santità Vostra non sarà per disapprovare. Il primo si è il timore che si stimabile raccoltà non passasse tra le mani degl' Inglesi, Olandesi, Ginevrini, etc. Si fatto timore era fondatissimo. Poiche varie di quelle bestie, e tra gli altri il famoso Pietro Gosse, si erano portati quὶ, e mi avevano dichiarato che il principal oggetto del passaggio e del viaggio era la detta compra. Onde io sopraffatto da grave cordoglio diceva tra me stesso :

Barbarus has segetes ?

Secondo motivo, che non mi parve ne meno calzante, ne meno legittimo del primo, si è che stimai cosa doverosisma e convenevolisma ad un prelato suddito della Santità Vostra di raccapezzare qualche cosa buona nello Stato pontificio, anche col scemare alquante le solite limosine, in quel tempo apunto in cui certe razioni divisis^me tra di loro, non convenivano, che nel sol punto di sbranare lo Stato ecclesiastico e di portarne via quanto mai protevano. Tra l'immensa raccolta di medaglie fatta dal signor di Peiresc et da varj signori di Mazaugues, si truovano tutte le medaglie dei sommi pontefici. Non so se non fosse troppo ardire il mio se mi avanzassi a supplicare umilm^te la Santità Vostra a volarle dare il compimento preggiatissimo con le sue.

Loquar ad Dominum meum, cum sim pulvis et cinis. Mi fo lecito, Beatissimo Padre, di porgere alla Santità Vostra un' altra ossequiosis^ma supplica, che vale a dire, non gia di favorirmi benignamente della sua grande opera, piena di somma ecclesiastica erudizione intorno alla canonizazione dei santi, poiche la feci venire di costi subito che fu data alla pubblica luce delle stampe e che ho letta per mio ammaestramento con infinita mia soddisfazione, ma bensì di farmi l'onore e la grazia singolare di ordinare al qualche suo famigliare di trasmettermi la savissime e prudentissime disposizioni ed ordinazioni che la Santità Vostra faccevasi nel vescovado di Ancona, come anche nell'arcivescovado di Bologna. Io ne ho pienissima cognizione, perchè monsignor Leprotti me le rimetteva di mano in mano per leggerle alla San. Mem. del suo degnissimo predecessore, il quale le gradiva, lodava ed approvava molto. Questa prezziosa ecclesiastica pastorale raccolta mi sarebbe di gran giovamento nella nuova imminente visita pastorale di questa populatissima diocesi, e principalmente di questa città, laquale per me, che in essa fon nato, di quando in quando domus exasperans est.

De fine, Beatissimo Padre, a queste mie soverchie importunissime dicene, col rendere vivissime grazie alla Santità Vostra dell' onore che si è compiacciuta di farmi, conferendomi pro interim il rettorato di questo paese, e genuflesso con profondissima venerazione ai sagri piedi della Santità Vostra, imploro la sua santissima apostolica benedizione (Bibliothèque de Carpentras, ms. 628, fol. 375).

Comme on le voit par la lettre ci-dessus, écrite avec cette pointe d'atticisme qui convenait à l'ancien bibliothécaire de Corsini, d'Inguimbert avait acheté près de son palais épiscopal un hôtel, celui de Grandis-Pomerol, pour loger ses livres. Il n'eut plus dès lors qu'une pensée : admettre le public à la jouissance de ses trésors bibliographiques. Afin d'y arriver, il jugea que le meilleur moyen était d'écrire immédiatement son testament et de prendre, de son vivant, toutes les dispositions nécessaires pour que ses généreuses intentions fussent exécutées. Or, il avait besoin de l'appui du souverain pontife, qui n'était pas seulement son chef spirituel, mais aussi son souverain temporel. D'où la précaution qu'il prenait de conserver ses bonnes grâces par de fréquents envois de livres rares ou de manuscrits précieux : on sait que Benoît XIV, ancien archevêque de Bologne, sa ville natale, sous le nom de Prosper Lambertini, avait des goûts de bibliophile et possédait lui aussi une splendide bibliothèque, à laquelle il donna la même destination que l'évêque de Carpentras à la sienne. Nous avons déjà signalé un premier présent de d'Inguimbert en juin 1745 ; un autre eut lieu au mois d'octobre suivant et lui valut la lettre ci-après, qui marque un nouveau progrès dans la bienveillance du pape :

Vanno a noi capitando continuamente tomi di belli manuscritti ch'ella colla sua solita generosità ci va regalando. Noi sommamente gli gradiamo ed a misura del gradimento non lasciamo di rendere a lei le dovute grazie, con tutta la disposizione di farle conoscere in atto pratico ed ogni volta che l'occasione si presentasse, la nostra riconoscenza, dando intanto a lei con pienezza di cuore l'apostolica benedizione. Datum Romȩ, apud S. Mariam Majorem, die 13 octobris 1745 (Bibliothèque de Carpentras, ms. 628, fol. 377)...

D'Inguimbert n'avait pas attendu la réception de cette lettre pour faire intervenir efficacement auprès de Benoît XIV, lui soumettre ses projets, lui présenter les articles de son testament qui regardaient la bibliothèque et lui demander une approbation dont il ne pouvait se passer. Voici les principaux passages d'une nouvelle lettre du pape, en date du 13 novembre 1745, qui éclaircit singulièrement toutes ces négociations. On y verra que d'Inguimbert restait fidèle à son système de donations de manuscrits : c'était peut-être regrettable au point de vue de l'ensemble des collections qu'il voulait laisser à sa ville natale, mais on ne peut le blâmer d'avoir employé ce moyen d'assurer sa fondation, puisqu'il a réussi.

Benedictus papa XIV. Venerabilis frater, salutem et apostolicam benedictionem. Riceviamo una sua lettera dei 28. di settembre, che ci è stata presentata dal Padre Baldini, che forse avia tardato qualche tempo a presentarcela, essendo stato nel mese passato d'ottobre nella sua villeggiatura di Tivoli.

Contiene la lettera vari capi, ed a cascheduno Noi rispondiamo ; e quanto ai regali, ch'ella con tanta generosità ci ha mandati, cioè quanto ai manuscritti della sua libraria, abbiamo fatto fare il rincontro colle nostre liste, ed avendo rincontrato che il tutto cammina bene, non ci restà altro da fare che ringraziarle di nuovo, come facciamo con tutto il cuore.

Passando poi al breve approvativo degli articoli del suo testamento in ordine alla libraria, quando ci saranno presentati, non mancheremo di far tutto e ben volontieri, e sarà nostra gloria che sotto il nostro pontificato la sua insigne biblioteca diventi pubblica (Bibliothèque de Carpentras, ms. 628, fol. 379)...

Il n'y avait plus à hésiter. D'Inguimbert fit toutes diligences nécessaires et fut assez heureux pour obtenir, le 27 janvier 1746, une bulle qui consacrait les dispositions testamentaires prises par lui, et qui devenait ainsi formellement l'acte de fondation de la Bibliothèque publique de Carpentras. Cette bulle rapporte les clauses du testament par lesquelles l'évêque léguait sa bibliothèque et l'hôtel où il l'avait déposée, plus une dotation de 20,000 écus, non seulement à ses concitoyens et à ses diocésains, mais au public tout entier. Voici d'ailleurs le texte même :

Testamento relinquo et in perpetuum lego universo publico spatium et omnia, quotquot sunt et erunt, contenta in spatio domus, quam a domino de Grandis-Pomerol mea pecunia comparavi. Quod quidem spatium ab aedibus DD. de Gautier de Girenton extenditur, versus hortum mensae episcopalis usque ad duos angulos, seu parvos recessus, quorum in altero arbor acacia dicta cernitur in extremitate scamni lapidei ad spatium in quo bibliotheca sita est, pertinentis ; in altero autem ficus conspicitur in ipso plantata scamno, quod etiam ad bibliothecam pertinet.

Lego igitur universo publico, et, ut mea mens apertius innotescat, lego non solum meis concivibus et dioecesanis, sed etiam extraneis, bibliothecam meam et quidquid in ea continetur, nimirum libros tam subjecto praelo typis impressos, quam manuscriptos, numismata, nummos, monetas, sigilla, antiquas aut statuas aut tabellas, imagines scalpro excusas, etc. Porro, ut haec fundatio, quam ad majorem Dei gloriam et ad proximi eruditionem atque etiam in pietatis profectum instituo, solida sit, et quoad ejus fieri possit, perpetua, testamento relinquo et cedo viginti millia scutorum monetae regiae, quibus diversos census emi a variis tam urbis Carpentoracti tum comitatus Venaissini communitatibus. Qui quidem census seu redditus aut pensiones in usus sequentes expendantur...

Suivent des prescriptions relatives au payement du bibliothécaire et du concierge, de la dot de deux orphelines, aux achats de livres et manuscrits, à l'entretien des bâtiments, puis un règlement très étudié sur la composition du Comité chargé de la surveillance et de l'administration de la bibliothèque, sur la nomination et les fonctions du bibliothécaire, sur la confection du catalogue, sur la communication des livres, manuscrits, médailles, etc. Le Comité sera composé de six personnes : l'évêque de Carpentras, le recteur du Comtat, le pénitencier et le théologal du chapitre de la cathédrale, le président et l'avocat fiscal de la Chambre apostolique du comté Venaissin ; il y sera adjoint un trésorier, qui non seulement tiendra toute la comptabilité, mais conservera encore par devers lui le double des catalogues (Cette bulle, dont l'original est conservé précieusement dans la Bibliothèque de Carpentras, a été imprimée sous ce titre : Bulla SS. D. N. Benedicti, divina providentia papae XIV, in qua Sanctitas Sua benigne confirmare dignatur erectionem et fundationem perpetuam Bibliothecae et Musaei publici factam ab... D. Malachia d'Inguimbert... (Carpentras, G. Quenin, 1747, in-4^o)). Ajoutons que ces sages dispositions furent renouvelées et confirmées par un autre testament du même prélat en date du 8 mars 1755 (Ce testament a été reçu par M^e J.-J.-M.-S. Devillario, notaire de Carpentras ; il en existe deux copies à la Bibliothèque de Carpentras (cf. Lambert, t. I, p. x, note). De très longs extraits et un excellent résumé en ont été publiés par Barjavel, dans les notes qui suivent le Mémoire historique sur la vie et les écrits de dom M. d'Inguimbert, déjà cité, p. 217 et 229) : dom Malachie d'Inguimbert ne mourut en effet que le 6 septembre 1757 ; il y avait plus de dix ans que sa bibliothèque était organisée et rendue publique sous sa propre surveillance.

La bulle de Benoît XIV, qui avait si bien servi ses projets, ne fit que resserrer les liens qui attachaient l'évêque au pape. D'Inguimbert en témoigna sa reconnaissance par plusieurs autres envois de livres et de manuscrits : nous en relevons la trace dans la très intéressante correspondance qu'il entretint avec le souverain pontife. Nous ne pouvons faire mieux que de transcrire ici-même plusieurs lettres de Benoît XIV, car elles donnent encore de curieux renseignements sur la Bibliothèque publique de Carpentras, et elles témoignent de la haute estime que l'on avait déjà pour ses collections. Voici la première, en date du 13 avril 1746 ; c'est probablement celle qui a suivi immédiatement les remerciements de l'évêque après la promulgation de la bulle :

Benedictus papa XIV. Venerabilis frater, salutem et apostolicam benedictionem. Ritornando a casa secondo il solito, primo dell' Avemmaria, la seconda festa di Pasqua, ritrovammo nel nostro tavolino i bei Commentarj di Cesare, le Centurie de' Centuriatori ed altri tomi di notizie peregrine, ed essendoci stato detto che il tutto era un regalo, non vi fu bisogno che a Noi fosse detto il nome del donatore, avendoci l'esperienza dimostrato in tutto il tempo di questo nostro pontificato non esservi stato altro che lei, che si abbia fatti simili regali, parendo che abbia fatta l'insigne compra della consaputa famosa bibliotheca per caparne il meglio e mandarlo a Noi. Noi dunque, con tutta la pienezza del cuore la ringrazimo e sospiramo le occasioni di farle conoscere in atto pratico la nostra riconoscenza. Il suo vicario generale nella sopradetta occasione ci lasciò nelle mani l'annesso memoriale, che Noi rimandiamo a lei con rescritto, dandole di vero cuore l'apostolica benedizione (Bibliothèque de Carpentras, ms. 628, fol. 382 )...

Du 14 octobre 1747 est la lettre suivante du pape Benoît XIV à d'Inguimbert :

Benedictus papa XIV... Abbiamo ricevuto il nuovo regalo, di cui ella ci ha favorito, cioè abbiamo ricevuto il vago orologio da polvere, i due rari libri ed il famoso ritratto, che non lascieremo di far collocare nel suo luogo, e che sara il complemento dell'altro suo regalo fattoci dei famosi Commentarj di Cesare. Noi distintamente la ringraziamo anche per la memoria che generosamente conserva di Noi, ed in tanto con pienezza di cuore le diamo l'apostolica benedizione (Bibliothèque de Carpentras, ms. 628, fol 384)...

Celle-ci, du 28 décembre 1748, donne quelques détails sur le catalogue que faisait rédiger l'évêque d'Inguimbert et annonce le projet du pape de suivre son bel exemple :

Benedictus papa XIV... Non abbiamo per anche ricevuta la Biblia di Roberto Stefano, ch'ella ci scrive mandarci in regalo. Distintamente la ringraziamo e ripeteremo l'officio ben dovuto subito che l'avremo ricevuta. Di gran nostra consolazione è stato il leggere nella sua dei 5. di dicembre, alla quale rispondiamo, ch'ella faceva fare il catalogo degli antichi e nuovi acquisti della sua celebre biblioteca. Bello, nobile ed ecclesiastico è stato il di lei pensiere nella compra che ha fatta, e va facendo de' libri colla deliberazione di lasciar tutto alla sua chiesa. Camminando Noi su le stesse pedate, faremo lo stesso della nostra, che intendiamo di lasciare all'Istituto di Bologna. Ci conservi il suo affecto, restando col darle l'apostolica benedizione (Idem, fol. 386)...

La Bible de Robert Estienne, signalée dans la précédente lettre, ne tarda pas à arriver à destination, et le pape Benoît XIV récrivit, le 8 janvier 1749 :

Benedictus papa XIV... Abbiamo ricevuta la bella Biblia da lei mandataci cortesemente in regalo, laquale e pel suo proprio pregio, e per la nobile edizione, e per essere cosi perfettamente conservata, ha meritato e discorso tutto il nostro gradimento. Noi perciò rendiamo a lei distinte grazie del dono, che sarà senza dubbio uno de' principali ornamenti della nostra privata biblioteca, e l'assicuriamo che incontreremo molte volentieri le occasione di dimostrarle la nostra riconoscenza, restando intanto col dare a lei ed al pregge alla di lei cura commesso l'apostolica benedizione (Idem, fol. 390)...

Voici enfin un dernier message du pape à l'évêque, en date du 2 avril 1749 ; il n'est pas le moins intéressant pour nous :

Benedictus papa XIV... Con somma nostra soddisfazione intendiamo dalla di lei lettera dei 10. dello scaduto, gli utili progressi che si producono dalla sua copiosa libreria, augurandole che sia sempre più con profitto frequentata ; e rendiamo a lei le dovute grazie per gli libri, che ella ha voluto mandarci e che con piacere abbiamo ricevuti.

Circa poi al trasporto dell carceri pubbliche in altro luogo a fine di darle il comodo di far l'ingresso alla detta libreria senza passare dal giardino (« Les prisons papales étaient situées de manière qu'elles étaient au couchant de l'hôtel Grandis-Pomerol et du jardin du palais de l'évêque, au nord de ce palais contre lequel elles s'appuyaient, et au midi de la rue de la Rectorie, dont elles bornaient l'extrémité méridionale... Or, d'Inguimbert avait conçu le projet d'acquérir le bâtiment des prisons et de faire transférer celles-ci dans l'habitation de M. de Quinson (rue du Chapeau-Rouge), dont la valeur égalait approximativement celle dudit bâtiment, et qui avait un peu plus d'étendue que ce dernier. Le dessein du prélat était de faire communiquer directement son palais avec le local de sa bibliothèque, où l'on ne pouvait arriver qu'en traversant le jardin de l'évêché... » (Barjavel, Mémoire historique..., p. 182.) — Ce projet n'a pas été mis à exécution : on constate, d'ailleurs, par la lettre ci-dessus, que le pape hésitait à lui donner son approbation), conosciamo la congruenza dell'istanza ; ma ci reserviamo di esaminar più maturamente l'affare, e poscia le daremo rincontro delle nostre determinazioni. Ed intanto restiamo col dare a lei l'apostolica benedizione (Bibliothèque de Carpentras, ms. 628, fol. 392)...

Ainsi donc, dans toute cette correspondance, on trouve l'écho des sentiments d'admiration que les contemporains, les mieux à même d'apprécier la valeur des livres, professaient pour l'ensemble des collections réunies par l'évêque d'Inguimbert. Aujourd'hui encore, pour quiconque examine en détail la bibliothèque constituée par cet éminent prélat, ces sentiments ne peuvent manquer de subsister.

***

Considérons seulement l'acquisition qu'il fit de M. de Thomassin-Bargemont en 1745, et qu'il compléta deux ans après en achetant au baron de Trimond (Au prix de 2,400 livres) les très précieux manuscrits de Peiresc, restés chez l'héritier du dernier des Mazaugues.

On a lu dans la lettre de d'Inguimbert à Benoît XIV, rapportée ci-dessus, qu'il l'estimait « à soixante-deux mille volumes d'imprimés, manuscrits, mélanges et recueils réunis dans le cours d'un peu moins de quatre siècles par divers littérateurs de premier ordre ». Il y a là certainement une exagération, même si l'on suppose que d'Inguimbert ait donné beaucoup d'ouvrages ; d'autre part, l'on ne trouve aucune trace de vente qu'il ait effectuée, par exemple de ses doubles. Quand il mourut, il n'y avait même pas dans sa bibliothèque 20,000 volumes. Mais avec quel soin ils avaient été choisis ! Et comme tous les ouvrages, qui étaient déposés sur les rayons de l'hôtel de Grandis-Pomerol, se recommandaient par leur intérêt ! Non seulement ils se présentaient sous une parure élégante, avec de riches reliures armoriées, mais ce que nous appellerons leur valeur intrinsèque était encore bien supérieure. Toutes les grandes collections, les éditions les plus rares, les textes les plus soignés s'y trouvaient rassemblés.

Louis de Thomassin, seigneur de Mazaugues, conseiller au parlement d'Aix (1647-1712), et son fils le président de Mazaugues (1684-1743) avaient montré en effet, dans la composition de leur bibliothèque, le goût le plus sûr et le zèle le plus patient.

C'est sans doute le premier de ces personnages (Sur Louis de Thomassin de Mazaugues, cf. Achard, Dictionnaire des hommes illustres de la Provence, t. II, p. 263) qui recueillit la très riche suite d'ouvrages des Meynier d'Oppède, bien reconnaissables à leur reliure décorée d'un M couronné (La Bibliothèque de Carpentras possède, sous le n^o 639 de ses manuscrits, un catalogue de livres imprimés, qui pourraient bien avoir formé les collections des Meynier d'Oppède), ainsi que ceux du conseiller au parlement de Paris, Louis de Vienne de Géraudot, décorés d'un ex-libris gravé de toute beauté (Le ms. 80 provient de lui). De lui viennent probablement encore les volumes que la Bibliothèque de Carpentras possède de François Graverol, docteur ès lois et avocat à Nîmes (Voir le catalogue de la vente des livres de François Graverol, qui eut lieu en 1705 : ms. 636 de la Bibliothèque de Carpentras), elles manuscrits des Gallaup de Chasteuil (Mss. 17, 193, 239, 246, 251, 257, 259, 370, 379, 386, 387, 408, 424 à 426. 702 (?). Les catalogues de leurs livres forment les mss. 634 et 636).

Mais c'est certainement lui qui eut la bonne fortune de sauver les manuscrits de Peiresc, achetés plus tard par d'Inguimbert.

De Peiresc (1580-1637), l'illustre érudit aixois, nous n'avons pas à rappeler ici les mérites ; ils sont assez connus, surtout depuis les très savantes publications de M. Tamizey de Larroque. On sait qu'il fit son testament le 22 juin 1637, et qu'après avoir attribué des legs de livres, manuscrits, portraits et médailles, il institua pour légataire universel son frère Palamède Fabri, dit M. de Valavez. Celui-ci conserva à peu près intacte la bibliothèque (Sur l'arrangement et la disposition de la bibliothèque de Peiresc, cf. P. Gassendi, Nicolai Claudii Fabricii de Peiresc vita (éd. 1641, in-4^o), p. 362) dont il héritait, car il avait les mêmes inclinations et possédait les mêmes goûts. Mais lorsqu'il mourut, son fils, Claude Fabri, baron de Rians, mit en vente ces collections littéraires qui furent dispersées (1647 ou 1648). Les imprimés ayant appartenu à Peiresc, on en rencontre à peu près partout, dans les Bibliothèques publiques les plus importantes ; ils sont faciles à reconnaître au moyen du monogramme appliqué en or sur les plats de la couverture en maroquin rouge, ou en noir au commencement du volume (Ce monogramme se compose des 3 majuscules grecques N K Φ : ce sont les initiales des prιnoms et nom de Peiresc grécisés : Νικολάος Κλαύδιος Φ αϐρίκιος — Quelquefois, principalement sur le dos des volumes, le chiffre de Peiresc n'est reprιsentι que par un Φ).

Quant aux manuscrits, ils se divisaient, comme l'a parfaitement indiqué M. L. Delisle (Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque impériale, t. I, p. 283), en deux catégories : les recueils de pièces et les manuscrits proprement dits. Ces derniers ont été dispersés comme les imprimés et sont caractérisés par la même marque.

Du temps même de Peiresc, plusieurs avaient quitté sa bibliothèque pour se trouver entre les mains des savants qui étaient le plus à même de les utiliser. Des manuscrits ont été donnés par lui à Scaliger, Holstenius, Saumaise, le P. Kircher, etc. Ceux qui restaient après la mort de M. de Valavez semblent avoir été vendus au détail ; cependant une grande partie en fut acquise pour le compte du cardinal Mazarin par Gabriel Naudé, qui paya ce lot d'une somme de 1,600 livres (L. Delisle, op. cit., t. I, p. 284. — Cf. Lambert, Catalogue..., t. II, p. X et XI). Ces manuscrits se trouvent aujourd'hui à la Bibliothèque nationale. D'autres restèrent en Provence, et M. de Mazaugues, le conseiller au parlement d'Aix, se les procura (Nous ne citerons qu'un exemple, d'après la correspondance du président de Mazaugues au marquis de Caumont : « J'ay une 3^me partie des Commentaires des guerres civiles d'Avignon par M. de Perussis, seigneur de Caumont ; c'est une copie ms. qui avoit été donnée au fameux M. de Peiresc... » (Bibliothèque d'Avignon, ms. 2372, fol. 1, à la date du 12 août 1717.) — Ce ms. est aujourd'hui le 546 de Carpentras. De Peiresc, la Bibliothèque de Carpentras possède encore les mss. 193, 401, 493, 524, 534, 535, 536, 545, 546, 585, 594, 715. Les trois mss. grecs décrits par M. Omont, Catalogue des mss. grecs des bibliothèques de France, n^os 34 à 36, en proviennent presque sûrement. — Le n^o 86 du même Catalogue, qui est actuellement à Tours, a passé dans les mains de Peiresc, etc. Cf. encore Lambert, Catalogue, t. III, p. 160).

« Les recueils de pièces connus sous le nom de registres comprennent les notes de Peiresc, les lettres qui lui étaient adressées par les savants, les littérateurs, les artistes, les voyageurs et les curieux du monde entier, les documents qu'il faisait transcrire en France et à l'étranger (L. Delisle, op. cit., t. I, p. 283). » Le baron de Rians les avait portés à Paris avec les volumes de minutes de la correspondance de son célèbre parent ; malheureusement, il ne se trouva personne pour les apprécier à leur valeur, les acheter et en assurer la conservation. Ces manuscrits finirent par revenir à Aix en 1660, « où ils subirent toutes sortes d'outrages ». Mme de Meyrargues (Suzanne de Fabri, femme de François de Paule de Valbelle, seigneur de Meyrargues), fille aînée de M. de Rians, s'en servit, disent les uns, pour allumer son feu et se faire des papillotes, en utilisa les feuillets, rapportent les autres, pour des couches de vers à soie. Ces recueils uniques auraient tous subi le même sort, si M. de Mazaugues n'avait recueilli et sauvé de la destruction ceux qui en restaient. Les quelques volumes qu'il retira ainsi des mains des héritiers de Peiresc le mirent tellement en goût qu'il s'employa activement à rechercher et à acquérir ceux qui, par donation ou par vente, étaient passés en mains étrangères (Ceux de l'abbé Lauthier, de M. de Chasteuil, etc. (Cf. Lambert, Catalogue..., t. II, p. XIII)). On dit même (Achard, Dictionnaire, t. II, p. 263, 264. — Cf. une lettre de Michel Bégon, du 25 avril 1703, publiée par Georges Duplessis, Un curieux procès du XVII^e siècle, Michel Bégon, intendant de la Rochelle, p. 103) qu'il intenta un procès à M. de Bégon, intendant de la Rochelle, pour s'en être procuré un certain nombre qui, en 1770, ont passé à la Bibliothèque du Roi (Où ils ont formé les mss. lat. 8957, 8958 et 9340 ; franç. 9530 à 9534. (Cf. Delisle, op. cit., t. I, p. 438)).

Ce dernier fait est fort peu probable, car M. de Mazaugues entretenait les meilleures relations avec M. de Bégon, comme on peut en juger par les quelques lettres de ce dernier, conservées dans le ms. 440 de la Bibliothèque de Carpentras. On y lit même que, loin d'avoir cherché à dépouiller l'intendant de la Rochelle des recueils qu'il avait achetés à M. Cibon, avocat à Aix, il lui fit l'offre des siens. Cela peut paraître extraordinaire, mais voici un texte qui justifie cette assertion : c'est un extrait d'une lettre de Bégon à M. de Mazaugues, en date du 10 avril 1689 (Bibliothèque de Carpentras, ms. 440, fol. 3) :

Mes livres sont encore en partie encaissés, et dans les balots qui ont été ouverts je n'y ay encore trouvé que deux volumes des manuscrits de M. de Peyresc. Les autres se trouvent dans les caisses qui n'ont pas encor été ouvertes et que je ne puis ouvrir qu'après que j'auray faict bastir un lieu exprès pour loger mes livres... J'ay une si grande vénération pour la mémoire de l'incomparable M. de Peyresc, que je n'hésiterois pas un seul moment d'accepter l'offre obligeante que vous me faites de ces registres que vous avés de luy, et vous en rembourserois très volontiers le prix, mesme au double de ce qu'ils vous ont cousté, si je n'étois aussy persuadé que je le suis que vous vous en servirés plus utilement que moy et que vous ne vous en desésiriés que par pure complaisance, de laquelle je serois au désespoir d'abuser. Pour ceux que j'ay, aussytost que j'auray pu trouver quelqu'un qui soit capable de les copier correctement, je feray tout ce que je pourray pour vous en faire faire des copies, vous priant d'avoir pour agréable que je conserve les originaux, pour lesquels j'ay de l'inclination et de l'estime. Je vous assure, Monsieur, que ce sont ces manuscrits qui m'ont déterminé à achepter le cabinet de M. Sibon et que M. Spon en faict un si grand cas et les élève si fort au-dessus de ceux qui étoient restés dans la possession de Mme de Mairargues, que pour les avoir j'aurois très volontiers donné la moitié du cabinet... Cependant je doibs vous dire que M. Spon dit qu'il y en avoit dix volumes et je n'en ay trouvé que sept, et un qui est l'inventaire du cabinet de M. de Peyresc et de quelques autres cabinets d'Aix...

M. de Mazaugues continua à être dans les meilleurs termes avec M. Bégon, grâce auquel il enrichit sa bibliothèque et son cabinet de plusieurs pièces précieuses.

Son fils, Henri-Joseph de Thomassin, dit le président de Mazaugues (Sur ce personnage, voir Achard, Dictionnaire, t. II, p. 264), fut encore plus zélé que lui et mit encore plus d'activité et de science au service de ses collections bibliographiques. Un de ses premiers soucis fut de continuer la recherche des recueils de la correspondance de Peiresc. Il fut assez heureux pour acquérir une partie des registres que détenait M. de Gaufridi, baron de Trets (Cf. Lambert, t. II, p. XIV. — Le président de Mazaugues ne réussit pas à réunir tous ceux qui existaient encore : on a vu ci-dessus que ceux de M. Bégon étaient passés à la Bibliothèque du Roi ; il y en eut d'autres aussi qui passèrent à l'étranger, notamment en Italie (Ravaisson, Rapport inséré dans le Journal général de l'instruction publique, 25 décembre 1841 ; Lambert, t. III, p. 160)). Il recueillit aussi plus de dix mille lettres de Peiresc, et il entreprit, sans, hélas ! mener à terme ses projets, de publier cette érudite correspondance (Il s'en entretint plusieurs fois avec le marquis de Caumont, auquel il écrivait, le 17 décembre 1717 : « Je recevray avec plaisir une copie de la lettre de M. de Peiresc au P. Soria, dont vous me parlés. Je ne perds point de vüe le dessein que j'ay de les donner au public, qui les attend depuis longtemps et qui ne sera pas certainement frustré de son attente ; mais le grand nombre d'affaires domestiques que j'ay eües depuis la mort de mon père ont, jusqu'à présent, suspendu ce projet. Je vais bientôt le reprendre. J'auray l'honneur de vous envoyer un plan de mon ouvrage dans peu de temps et je me ferai une étude particulière de prendre votre avis et de profiter de vos lumières ; il me manque ici une personne d'érudition avec qui je puisse travailler. Les gens de notre état et de notre âge, qui ne sont pas destinés à l'étude par leur profession et qui ne s'y attachent que par goût, ont besoin d'être soutenus, surtout pour les desseins de suite et qui demandent beaucoup de détail. » — Le 24 octobre suivant, il écrivait au même : « Je vous suis très obligé de la peine que vous avés prise de transcrire vous-même une assés longue lettre ; elle tiendra une place honorable dans mon recueil. Vos instances obligeantes suffiroient pour m'engager à le mettre bientôt au jour. Il me manque seulement un peu plus de loisir et beaucoup plus encore de ces talens dont vous me croyés pourvu par un excès de prévention. J'espère trouver dans vos avis un secours qui puisse suppléer à ce qui me manque, et pour donner à mon ouvrage te degré de perfection qu'il demande, j'aurai un soin particulier de me diriger par les lumières d'une personne qui a autant de goût et de connoissance que vous. J'ay les originaux des lettres dont M. de Graveson ne vous a fait voir que des lambeaux, et des copies de celles qu'avoit M. Bégon et qu'il avoit eu la bonté d'envoyer à mon père. Il ne me manque presque rien pour les matériaux, il ne me reste que de les bien mettre en œuvre. Je songe à envoyer un projet de mon édition aux journalistes de Paris et de Hollande, pour sonder le goût des sçavans et engager les libraires à se charger avec plaisir de l'impression. Je prendray la liberté de vous le communiquer auparavant pour en avoir votre avis. » (Ms. 2372 de la Bibliothèque d'Avignon, fol. 3 et 4)). Il n'avait fait d'ailleurs que reprendre une œuvre à laquelle son père s'était consacré dès 1694. Il mit également sur le chantier une étude sur les anciens troubadours et une histoire de la Provence. S'il ne rédigea aucun de ces ouvrages, ce ne fut pas manque de connaissances, mais surtout manque de temps, car il était très assidu au parlement de Provence et il entretenait des relations épistolaires avec les savants de son temps (En cela, il ne faisait que suivre l'exemple de son père ; les mss. 439 à 441 de la Bibliothèque de Carpentras contiennent la correspondance érudite qui lui fut adressée). Au courant de toutes les nouvelles littéraires, que ses correspondants lui transmettaient de différents pays de l'Europe, à l'affût de toutes les publications importantes sur l'histoire, l'archéologie, la numismatique, le droit, la théologie, servi par des libraires adroits à Paris, Genève, Amsterdam, Florence, Venise, Bologne, Rome, Avignon et Aix, il ne pouvait pas manquer d'accroître les richesses qu'il avait héritées de son père. Nous voudrions pouvoir citer ici de larges extraits des lettres qu'il écrivit jusqu'à la veille de sa mort, pour donner des preuves non équivoques de son intelligence dans la recherche des livres, manuscrits ou médailles, de la science avec laquelle il les interprétait et de la critique qu'il apportait à les juger ; mais nous craindrions d'allonger outre mesure cette étude.

Les devoirs de sa charge et ses multiples occupations ne l'empêchèrent pas cependant d'accomplir quelques voyages. Il alla pour la première fois à Paris en 1723 ; il y retourna en 1738, et il y séjourna cette fois pendant près de quatre ans. Il alla aussi à Genève et passa plusieurs mois en Italie (« Il acheta à Rome une collection de sceaux, qui, jointe au nombre considérable qu'il en avoit déjà, faisoit un recueil unique... » Achard, p. 269. — A Turin fut acquis le manuscrit coté actuellement n^o 5) en 1736 et 1737. Veut-on savoir comment il y employait son temps, qu'on lise cette lettre, dont nous citons seulement quelques passages. Elle est datée de Genève, 18 octobre 1734, et elle est adressée au marquis de Caumont.

Nous (Son compagnon de voyage était un Anglais, M. Bristow, qui le suivit aussi en Italie et qui aurait voulu l'entraîner de Paris en Angleterre. (Voir la lettre du 3 novembre 1738 au marquis de Caumont : loc. cit., fol. 250 v^o)) avons passé trois jours à la Grande-Chartreuse, dont l'afreuse solitude ne laisse pas que d'avoir ses agréments et d'inciter la surprise. Nous y avons visité une pièce qui est peu fréquentée et peu connue : c'est la bibliothèque, car il y a quelques mss. et d'assés bons livres anciens. Nous y déterrâmes une première édition des Épîtres de S. Jérôme, imprimée à Rome dans les commencements de l'établissement de l'imprimerie dans cette ville, en 1468. Nous avons été ensuite deux jours à Chambéry à bouquiner et chercher des médailles, et nous voicy à Genève et depuis mercredy apliqués à parcourir tout ce qui peut satisfaire notre curiosité. La Bibliothèque publique a de quoy l'occuper utilement une journée. Le médaillier de M. Turretin mérite bien un après-dîner, surtout pour sa suite en or, le reste est assés médiocre. Mais rien ne m'a plus contenté jusqu'à présent que M. Abauzit, rien ne peut égaler son sçavoir que sa modestie. L'une et l'autre qualité se trouvent en luy au souverain degré.

Nous n'avons pas trouvé de grandes nouveautés chez les libraires (Loc. cit., fol. 164)...

On relèverait facilement encore dans cette correspondance du président de Mazaugues, qui ne serait pas indigne d'être publiée en entier, les traces de ses acquisitions de livres, manuscrits et médailles. Nous n'y insisterons pas ; cependant, nous ne pouvons faire autrement que de citer quelques extraits, ne fût-ce qu'à titre de spécimens, des lettres adressées au marquis de Caumont.

20 mai 1719. « J'ai acquis de M. Raybaud les manuscrits de D. Polycarpe de la Rivière. Ils auroient été mieux entre vos mains et vous convenoient davantage par rapport qu'ils regardent par la plus grande partie l'histoire ecclésiastique de votre ville. La bibliothèque de M. Baluze, qu'il avoit léguée à Mme Muguet, est en vente (Loc. cit., fol. 10. — Les mss. de Polycarpe de la Rivière forment aujourd'hui les n^os 515-517 de Carpentras. Le président de Mazaugues a acheté aussi un. certain nombre de volumes de la bibliothèque de Baluze, qui se retrouvent aujourd'hui à Carpentras. Lambert, n^o 68 de son Catalogue, a signalé comme en provenant le fameux Missel de Paris, imprimé par Thielman Kerver, en 1501)... »

13 janvier 1738. « Je viens d'acquérir un ms. en provençal : c'est une lettre à un cardinal de frère Joan de Rochatallada, Francisquain de la province d'Aquitaine, sur des visions de l'Antéchrist et des révélations qui ont rapport à l'histoire de ce temps-là, sçavoir vers 1345. J'y trouve de quoy augmenter la liste de nos troubadours et de leurs poësies par trois pièces en vers. Je n'ay pu encore découvrir si c'est l'original ou une traduction (Loc. cit., fol. 226 v^o. — Ce ms. est actuellement le 336 de la Bibliothèque de Carpentras)...

17 février 1738. « J'oubliay, mon cher marquis, dans m » dernière lettre, quoyque assés longue, de vous parler d'un ms. que j'ay acquis quasi jure postliminii, car il avoit appartenu à M. de Peiresc (Le fait est avéré par une lettre de Peiresc lui-même, publiée par M. Tamizey de Larroque dans la Correspondance de Peiresc aux frères Dupuy, t. III, p. 430) et avoit été originairement de l'abbaye de Saint-Orent, diocèse d'Ausch. Ce sont différents traittez De rationibus temporum, assés semblables à ceux du vénérable Bède, mais plus abrégés, calendriers, cicles et moyens de trouver les épactes... Tous ces traittez sont escrits de différentes mains et en différens temps, mais il y en a du 9^e au 10^e siècle. Le ms. est en vélin in-4^o (Loc. cit., fol. 232. — Ce ms. a été volé par Libri à Carpentras ; il fait aujourd'hui partie du fonds latin de la Bibliothèque nationale, n. acq., n^o 456 : cf. L. Delisle, Catalogue des fonds Libri et Barrois à la Bibliothèque nationale, p. 80, et Histoire littéraire de la France, t. XXXII, p. 263)... »

17 mars 1738. « J'ay acquis un assez beau ms., qui n'est pourtant pas bien ancien, de l'Histoire ecclésiastique de Ruffin, qui estoit de la bibliothèque du feu évêque de Nimes (Jean-César Rousseau de la Parisière, décédé le 15 novembre 1736, après vingt-cinq années d'épiscopat), et je suis en état d'acquérir quelques autres mss. liturgiques du même endroit (Loc. cit., fol. 238. — Ce ms. de Ruffin est aujourd'hui le n^o 449 de Carpentras)... »

La bibliothèque du président de Mazaugues était aussi libéralement ouverte aux savants que l'avait été celle de Peiresc. Ona cité (Achard, p. 266 et suiv.) toutes les obligations que lui ont dues le P. Bougerel pour sa Vie de Gassendi, le P. de Montfaucon pour son Antiquité expliquée, les auteurs de l'Histoire du Languedoc, Muratori, Moreri, Maffei. Il s'était tellement intéressé à leurs travaux qu'il était devenu pour eux un précieux collaborateur.

La mort le surprit à Aix, le 17 février 1743, avant qu'il ait eu le temps de classer les acquisitions qu'il avait faites en Italie et à Paris. Nous avons déjà dit que sa bibliothèque, sauf les recueils de Peiresc qui advinrent à M. de Trimond, passa à son frère M. de Thomassin-Bargemont. A qui faut-il attribuer la donation ou la vente au président Fauris de Saint-Vincent (1718-1798) des quinze volumes de la correspondance de Peiresc, qui sont actuellement conservés à la Bibliothèque Méjanes d'Aix (Sous les n^os 201-215 des manuscrits. — Barjavel, se faisant l'écho d'une opinion de l'abbé de Saint-véran, dit encore : « La facilité avec laquelle les Mazaugues prêtaient leurs livres a été cause que quelques-uns sont restés dépareillés et que plusieurs suites sont tronquées. Leurs parents, voyant cette collection leur échapper, ont dû, en apprenant sa vente, s'approprier plusieurs volumes, surtout ceux qui traitent de l'histoire de France. » (Mémoire historique, p. 156.) — Cf. encore, sur les recueils ou mss. de Peiresc qui ont disparu de chez les Mazaugues, p. 160 et suiv., 293 et suiv. ; voir aussi l'abbé Fabre de Saint-Véran, Mémoire historique sur la Bibliothèque de la ville de Carpentras, lu à la séance publique du lycée de cette ville, dont copie fut adressée à M. Bourdon, préfet de Vaucluse, et se trouve conservée aux Archives départementales, dossier de la Bibliothèque de Carpentras) ?

***

D'Inguimbert s'était donc rendu acquéreur dans les conditions que nous savons, des livres du président de Mazaugues, puis des recueils de Peiresc.

Les collections qu'il avait rendues publiques continuèrent à s'enrichir sous son intelligente et généreuse initiative. On a cité ses achats des Mémoires de l'Académie des sciences, des œuvres de Cassini et des Transactions philosophiques de Londres; on a mentionné les publications périodiques et journaux savants auxquels il avait abonné son établissement. Il avait fait bâtir, tout près de l'hôtel de Grandis-Pomerol, une maison où il logea le bibliothécaire : ce fut d'abord un de ses parents, le chevalier d'Aultane, qui occupa cet emploi. On sait que par ses divers testaments d'Inguimbert exigeait que ce fonctionnaire fût irréprochable dans sa foi et dans ses mœurs, qu'il ne fût ni juif, ni protestant, ni janséniste, qu'il ne fût engagé ni dans les ordres religieux, ni dans le mariage, qu'il ne pût avoir d'autre fonction ni être constitué en dignité ecclésiastique ou séculière, même sans émoluments, qu'il sût les langues orientales et à tout le moins le grec. Le chevalier d'Aultane étant décédé fut remplacé, le 4 juillet 1756, par l'abbé Fabre de Saint-Véran, neveu maternel de d'Inguimbert, qui, un demi-siècle plus tard, après des vicissitudes diverses, était encore en fonction.

A ces bibliothécaires successifs d'Inguimbert confia la confection des divers catalogues. Il eut la satisfaction de voir achevé celui des sceaux, qui forme aujourd'hui le n^o 613 des manuscrits de Carpentras, et de voir en bonne préparation celui du médaillier (n^os 610 et 611 des mêmes manuscrits). C'est sans doute à lui aussi que l'on doit le plan du catalogue des imprimés qui est encore en service à l'heure actuelle. Ce plan est excellent pour une bibliothèque relativement restreinte comme l'était celle-ci ; il exigerait, il est vrai, un très grand travail, si on l'adoptait pour des collections plus étendues : c'est qu'en effet le rédacteur ne s'est pas contenté d'y porter le titre de chaque ouvrage, mais il a pris soin de dépouiller aussi tous les recueils de textes pour faire de chaque matière un article séparé. Un tel système facilite singulièrement les recherches. Ce catalogue des imprimés a été transcrit sur registres et forme trois gros volumes in-folio.

D'Inguimbert pouvait mourir avec la sérénité du bienfaiteur qui voit ses fondations assurées dans l'avenir. S'il n'eut pas le bonheur de voir son hôpital entièrement achevé, sa bibliothèque était par contre parfaitement organisée, et de ce côté il n'avait plus rien à souhaiter.

Sa mort arriva le 6 septembre 1757 : le même jour, eut lieu au palais épiscopal l'ouverture solennelle de son dernier testament, en date du 8 mars 1755, et des deux codicilles qui l'avaient suivi les 6 janvier et 27 juin 1757. On sait que ces documents ne faisaient que confirmer, par rapport à la bibliothèque, le testament visé par la bulle de Benoît XIV.

Conformément à sa volonté, la Commission administrative, composée des six personnes qu'il avait désignées (sauf l'évêque qui n'était pas encore nommé), se réunit le 1^er octobre 1757 et prit la direction de l'établissement public qui lui était confié. Le 22 novembre suivant, elle entrait en possession des capitaux légués par d'Inguimbert pour la dotation de sa bibliothèque. Elle subsista jusqu'au 12 mars 1792.

Sans disposer des mêmes ressources que l'évêque défunt, elle continua son œuvre dans la mesure de ses moyens. Elle fit inscrire toutes ses acquisitions (Cf. le ms. 635 : « Libri a DD. rectoribus Bibliothecae publicae Carpentoractensis empti, anno 1760, Lugduni, apud fratres Du Plain, hujusce urbis bibliopolas ») sur un registre particulier, qui malheureusement fut interrompu après l'année 1776. 571 volumes furent achetés dans les seize premières années. Pendant ce temps, l'abbé de Saint-Véran, fort affectionné à la mémoire de son oncle, continuait les travaux de catalogues que celui-ci lui avait donné mission d'accomplir. Il dressa notamment un premier inventaire des manuscrits, dont une copie, adressée au marquis de Cambis-Velleron, constitue aujourd'hui le ms. 2026 d'Avignon.

Il semblait que cette machine, si admirablement montée, durerait des siècles entiers sans se déranger : la Révolution vint tout bouleverser. La bibliothèque d'Inguimbert passa par des phases difficiles, et son existence même fut un jour fortement menacée.

Le décret du 14 septembre 1791 incorporait à la France l'État d'Avignon et le comté Venaissin ; il rendait donc applicables à Carpentras toutes les lois révolutionnaires. L'administration de la Bibliothèque fut confiée, le 1^er août 1792, à une commission de sept membres pris parmi les conseillers municipaux de la ville, qui restèrent en exercice jusqu'au 1^er prairial an II (20 mai 1794).

La dotation des 60,000 livres pour les honoraires des employés, l'entretien de l'établissement et les acquisitions d'ouvrages, disparut aussi dans la tourmente. On se rappelle qu'elle était placée en rentes sur la ville de Carpentras et différentes communes du Comtat. Or, l'État, de par la loi du 24 août 1793, s'étant chargé de l'ensemble des dettes communales, les créanciers durent présenter leurs titres au directeur général de la liquidation. Les administrateurs firent toute diligence pour obtenir, en échange, une inscription sur le Grand-Livre ; ils n'y réussirent pas.

Cette perte n'avait pas été compensée par les apports des collections de livres qui avaient été confisquées aux communautés religieuses et aux émigrés. Les couvents de Carpentras étaientils peu riches en livres et en manuscrits, ou bien avait-on fait disparaître avant leur fermeture ce qu'ils possédaient ? Nous l'ignorons ; toujours est-il que nous ne relèverons que ce document, concernant les volumes des Capucins :

Messieurs les administrateurs de la Bibliothèque et M. le bibliothécaire en exercice. Vous êtes priés de recevoir en dépôt et dans un appartement que vous aurés fait vuider auparavant, tous les livres des Capucins et, en les recevant, vous en prendrés état et inventaire, que vous voudrez bien ensuite présenter à la municipalité. Demain, à deux heures après midy, on commencera le transport. Nous attendons de votre sollicitude que vous proposerés une personne qui vous représente au lieu où les livres sont actuellement déposés, pour la régularité de la chose. Ces livres sont actuellement déposés chez M. Gaude, bourgeois, rue de la Porte-de-Mazan. Donné à Carpentras, en la maison commune, le 16 mai 1791. D'AUREL, maire, etc. (Ms. 1721, p. 643).

On peut signaler encore, parmi les manuscrits, le 446, provenant des Carmes de Carpentras, et beaucoup d'autres numéros formés de pièces d'archives du chapitre de la même ville et de l'évêché. Mais il n'est pas sûr que tout cela soit arrivé au moment de la Révolution.

Quelques nobles du pays avaient aussi à cette époque des collections de livres. Certains d'entre eux émigrèrent, et leurs biens furent confisqués au profit de la Nation. Mais on apporta peu de soin à les conserver pour l'instruction publique, malgré les lois qui entouraient leur vente de formalités restrictives. Plusieurs fois, les membres du jury central d'instruction publique, établi à Carpentras, eurent à protester contre de regrettables aliénations : s'ils réussirent à empêcher la dispersion des livres de l'émigré Fléchier, conservés à Pernes (Après la Révolution, ces livres, qui étaient restés à Pernes, furent en partie restitués à leur ancien propriétaire), et à conserver pour l'ancienne bibliothèque d'Inguimbert un choix de ses meilleurs ouvrages, ils ne furent toujours aussi heureux. Ainsi, on ne sait ce que sont devenus les 5,000 volumes de M. d'Olonne, de Carpentras, sur la vente desquels le ministre de l'intérieur, le 20 messidor an VII, adressait de justes observations aux administrateurs du département de Vaucluse.

En l'an VIII, la Bibliothèque de Carpentras reçut pourtant les livres « et autres objets de sciences et beaux-arts du cabinet de l'émigré Lavalette ». Selon un état dressé le 1^er messidor an IX, 3 ou 4,000 volumes seraient venus par cette voie, ainsi que la plupart des estampes et des tableaux qui se trouvaient aussi dans le même dépôt. Lavalette réclama bien, quelque temps après, la restitution de tout ce qui lui avait été confisqué ; le ministre de l'intérieur lui fit répondre, le 19 pluviôse an X, que ses tableaux et ses livres, étant placés dans un établissement d'instruction publique, ne pouvaient plus en sortir.

Malgré tout, les accroissements de la Bibliothèque pendant l'époque révolutionnaire finirent par se réduire à bien peu de chose. M. Lambert, dans l'introduction au tome I^er de son Catalogue (P. XIV), dit même qu'il n'y est pas entré plus de deux cents volumes. Faut-il croire que même les ouvrages de Lavalette aient été restitués Ce qui le ferait supposer, c'est que plusieurs livres de M. de Lavalette se sont retrouvés dans la bibliothèque du D^r Barjavel. Il en existe aussi quelques-uns en la Bibliothèque de la ville d'Avignon(Ce qui le ferait supposer, c'est que plusieurs livres de M. de Lavalette se sont retrouvés dans la bibliothèque du D^r Barjavel. Il en existe aussi quelques-uns en la Bibliothèque de la ville d'Avignon) ?

Mais poursuivrons l'histoire de la Bibliothèque. L'abbé de Saint-Véran avait réussi à se maintenir dans les fonctions qu'il avait reçues de l'évêque d'Inguimbert ; le 9 septembre 1806, dans une lettre au préfet de Vaucluse, il se rendait le témoignage que sa présence pendant les troubles des premières années de la Révolution avait contribué « à empêcher les médailles qui y sont conservées d'être enlevées et les livres héraldiques d'être livrés aux flammes ». Mais son zèle n'avait pas tardé à devenir suspect : une délibération de l'administration municipale de Carpentras, en date du 21 frimaire an IV, l'accusa d'avoir rétracté le serment de la Liberté et de l'Égalité, de n'avoir pas prêté celui de haine à la royauté, enfin d'être absent de son poste depuis un an. On le révoqua donc de son emploi, dans lequel il fut réintégré le 14 germinal an V, et dont il fut encore exclu le 27 frimaire an VI, au profit du citoyen Eysséric, ancien professeur. Ajoutons que l'abbé de Saint-Véran fut encore réintégré, le 8 vendémiaire an XIII, sur les représentations du maire Waton et du conseil municipal et avec l'appui du préfet de Vaucluse ; il resta bibliothécaire jusqu'au 14 juin 1812, date de sa mort.

Ces événements ne furent pas les seuls qui marquèrent alors les destinées de la Bibliothèque. Une École centrale fut créée à Carpentras par la loi du 18 germinal an III, et l'on estima qu'il était précieux pour elle de lui adjoindre le dépôt des livres et les cabinets de médailles, tableaux, etc., qui étaient réunis dans l'ancien hôtel de Grandis-Pomerol. Ce furent donc les professeurs de l'École centrale qui en eurent la direction ou plutôt la surveillance ; ils remplacèrent la précédente administration de caractère purement municipal. L'État se chargea alors de toutes les dépenses, il doubla presque les honoraires du bibliothécaire et du concierge, que d'Inguimbert avait fixés à 1,000 et 250 livres et qui furent portés à 1,800 et 500 francs ; il pourvut à l'entretien des bâtiments et envoya tous les ouvrages nouveaux qui sortaient de ses presses (Mémoire d'H. Olivier-Vitalis au ministre de l'intérieur, 15 janvier 1815 : dossier de la Bibliothèque de Carpentras aux Archives départementales).

L'École centrale de Vaucluse n'eut qu'une existence éphémère ; la Bibliothèque n'en avait pas attendu la fermeture pour redevenir municipale ; toutes les charges qu'elle entraînait incombèrent de nouveau à la ville. Elle venait de passer par ces transformations, quand un danger plus grave vint la menacer et compromettre à tout le moins sa vitalité. Chardon de la Rochette, auquel fut adjoint le D^r Prunelle, professeur à la Faculté de médecine de Montpellier, avait été chargé par arrêté du ministre de l'intérieur, le 14 thermidor an IX, d'inventorier lés dépôts littéraires dans chaque département et de faire des propositions sur le meilleur emploi qu'on pourrait leur donner. Il vint à Carpentras, et l'on ne tarda pas à ressentir les effets de sa visite. Le 16 thermidor an XI, le ministre de l'intérieur écrivait au préfet de Vaucluse que le bibliothécaire de l'École de médecine de Montpellier était autorisé à choisir pour elle dans la Bibliothèque de Carpentras les ouvrages traitant de l'art de guérir, et qu'il était chargé d'offrir à la ville, en dédommagement, un certain nombre de bons ouvrages pris dans les dépôts de Paris. La liste des volumes choisis pour Montpellier fut préalablement adressée au préfet de Vaucluse, le 26 brumaire an XII, et l'on put se rendre compte de l'objet de cette demande. Ce n'était pas, hélas ! les seuls ouvrages « traitant de l'art de guérir », que l'on se proposait d'enlever, mais une quantité d'autres qui n'avaient avec la médecine que des rapports lointains (Cette liste comprend 327 ouvrages imprimés, dont plusieurs incunables (certains de ces ouvrages ont jusqu'à 32 volumes), plus 20 manuscrits). Il y avait tous les livres d'histoire naturelle, cela se comprend encore ; mais que dire de la Bible polyglotte, en 10 vol. in-fol., des Hommes illustres de la France de Perrault, du Glossaire de Du Cange, des bibliographies de Fabricius, de l'historia della volgar poesia de Crescimbeni, des 32 vol. in-fol. du Corpus byzantinae historiae, de la Bibliotheca hispanica, de l'édition d'Euripide de 1602, d'une édition d'Horace de 1492, etc. ? N'était-ce pas là un véritable pillage ?

A Carpentras on éprouva la plus vive émotion. Le bruit se répandit, et l'on crut effectivement, même en haut lieu, que l'École de médecine de Montpellier voulait s'emparer de toute la bibliothèque d'Inguimbert. La municipalité ne perdit pas de temps, elle fit rédiger par l'abbé Maxime de Pazzis, au nom des habitants de la ville, un mémoire fort instructif qui rappelait les conditions toutes spéciales dans lesquelles ce dépôt littéraire avait été fondé, et réclamait énergiquement le maintien des volontés de l'illustre évêque fondateur. On fit tant qu'à la fin le ministre de l'intérieur écrivit au préfet de Vaucluse, le 4 pluviôse an XII, que « les livres choisis pour l'École de médecine de Montpellier dans la Bibliothèque communale de Carpentras ne seront pas enlevés », et qu'il pouvait en aviser le maire de cette localité. Plus heureuse que les villes de Troyes et Auxerre, qui se virent dépouillées de cette façon, celle de Carpentras conservait donc dans son intégrité sa belle collection de livres et de manuscrits. Cependant Chardon de la Rochette ne se tenait pas encore pour battu. On possède de lui une lettre, en date du 8 floréal an XII, où il demandait une audience au préfet de Vaucluse afin de déterminer l'usage que l'on peut et doit faire du dépôt littéraire et des tableaux qui existent à Carpentras. Il voulait proposer de choisir « ce qu'il y aurait d'ouvrages un peu passables », et d'en former le noyau d'une bibliothèque particulière de l'Athénée de Vaucluse. Le préfet dut lui faire entendre raison, car il abandonna ce projet.

Les divers ministres de l'intérieur, du Directoire à la Restauration, ne cessèrent de réclamer l'envoi des catalogues et inventaires. Le 8 thermidor an VI, on transmit à l'administration centrale de Vaucluse l' « état des médailles et monnaies », qui formaient alors un total de 5,774 pièces, dont 217 anciens sceaux, « tant sacrés que profanes ». Du 23 thermidor an IX, est l'état des « meilleurs tableaux de la Bibliothèque de Carpentras » ; on y relève les portraits des cardinaux Spinola, Tencin et Polignac en buste, par Étienne Parrocel ; le portrait du cardinal Aldobrandini et celui du cardinal Corsini, par le même ; deux tableaux dans le goût de Téniers ; deux groupes de cavaliers combattant au sabre et au pistolet, qu'on croit du Bourguignon ; quatre marines de Joseph Vernet, etc. Le catalogue des livres était plus long à rédiger et ne fut vraisemblablement jamais adressé au ministre ; on se contenta d'envoyer des états de situation. Voici celui qui est daté du 23 juillet 1813 :

Un autre état sommaire des livres de la même Bibliothèque, que nous avons de bonnes raisons de croire fort incomplet, fut dressé par Olivier-Vitalis, le 18 mars 1834 ; il accuse encore le même nombre de manuscrits et un total de 19,719 volumes, qui se décompose ainsi (Ce tableau a été reproduit par D.-V.-H. Chambaud, Notice sur les bibliothèques anciennes et modernes du département de Vaucluse, p. 13) :

***

Depuis les accroissements dus aux confiscations révolutionnaires et aux libéralités de l'État sous le Directoire, la Bibliothèque de Carpentras a fait de très notables acquisitions. Nous ne citerons que pour mémoire le don d'ouvrages doubles de la Bibliothèque d'Avignon, dont l'abbé de Saint-Véran accusa réception le 18 décembre 1808. La municipalité de la ville y fit déposer aussi, le 13 décembre 1819, le fameux Livre rouge (ms. n^o 557), et, le 7 mars 1843, le Liber choralis juxta ritum ordinis fratrum Praedicatorum (ms. n^o 94), provenant de ses archives.

Elle put faire acheter 53 volumes ou recueils de pièces imprimées et manuscrites de l'avocat Denis-Barthélemy Tissot. Né le 14 février 1750 et décédé le 2 décembre 1818, ce Carpentrassien eut le mérite et la patience de réunir une foule de documents sur l'histoire locale (Sur cette collection, cf. Barjavel, Dictionnaire historique, biographique... de Vaucluse, t. II, p. 439). Il frayait une voie, qu'après lui D.-V.-H. Chambaud et Esprit Requien à Avignon, le D^r Barjavel à Carpentras, suivirent avec succès et profit. Malheureusement, ses collections, qu'il aurait été si intéressant de conserver dans leur intégrité, ont été dispersées : la Bibliothèque de Carpentras en a recueilli, avons-nous dit, 53 volumes. Celle d'Avignon en a reçu d'autres, grâce à la générosité de son principal bienfaiteur, Esprit Requien.

L'ex-chanoine Hyacinthe Olivier-Vitalis, qui fut le successeur de son parent l'abbé de Saint-Véran comme bibliothécaire, s'il n'accomplit pas toujours ses devoirs avec une parfaite exactitude, fit cependant entrer un certain nombre de manuscrits. Nous ne citerons que l'Histoire civile et ecclésiastique du comté Venaissin et de la ville d'Avignon par Joseph Fornéry, qui lui venait de l'abbé Maxime de Pazzis (mss. n^os 547-551).

Mais rien n'égala la magnifique donation que fit par testament le D^r Casimir-François-Henri Barjavel (1803-1868). Cet ancien maire de Carpentras avait passé sa vie et consacré une grande partie de sa fortune à recueillir les ouvrages, manuscrits ou imprimés : 1^o composés par les auteurs originaires du département de Vaucluse ou des pays qui l'ont formé ; 2^o concernant l'histoire de ce pays et les personnages qui y naquirent ou qui l'ont habité ; 3^o imprimés dans les villes du même département. Doué d'un véritable instinct bibliographique, il amassa de superbes collections, où entrèrent les livres les plus rares et tous les manuscrits qu'il put se procurer. Un premier testament, écrit par lui le 17 février 1868, contenait entre autres les dispositions suivantes :

Je lègue à la ville de Carpentras, pour la Bibliothèque et le Musée publics de cette ville, toutes mes collections de livres imprimés et manuscrits et tous les objets d'art que je possède, tels que bustes, statuettes... Je fais ce legs à ladite ville, sous la condition expresse que tous ces objets de mes collections seront placés dans une ou plusieurs salles du Muséum de la ville et que l'administration, préposée à ce Muséum, fera rédiger et publiera dans un volume à part, et ce dans l'espace d'un an et demi ou deux ans au plus, un catalogue détaillé, disposé selon l'ordre alphabétique des noms d'auteurs, de ces différents objets tant de ma bibliothèque que de mon petit musée...

Un autre testament olographe, en date du 7 juillet suivant, ajouta à ce legs une dotation de 50,000 francs dans le but de « s'associer à l'œuvre, non seulement de reconstitution du capital légué par Mgr d'Inguimbert, évêque de Carpentras, à la bibliothèque qu'il a fondée dans cette ville, mais encore à la création d'un capital plus élevé, qui serait au niveau des besoins actuels, le tout en faveur de l'augmentation des objets que contiennent le Musée et la Bibliothèque de la ville de Carpentras ». Ces dispositions furent confirmées par un dernier testament, reçu par M^e Boucthay, notaire, le 24 septembre 1868, et dans lequel il institua une commission d'exécuteurs testamentaires, chargés de veiller à l'exécution de ses dernières volontés et d'employer les revenus du capital qu'il laissait pour l'accroissement de ses collections. Le D^r Barjavel mourut deux jours après, et ses différents testaments reçurent immédiatement leur application : la commission qu'il désignait se réunit pour la première fois le 2 octobre 1868. Son legs a enrichi la Bibliothèque de Carpentras d'environ 10,000 volumes ou recueils, imprimés et manuscrits.

Après lui, on doit compter comme bienfaiteurs du même établissement : M. Pascal, qui légua 10,000 francs (1873) ; M. Antoine-Dominique Eysséric (C'est lui qui combattit courageusement et réussit à faire repousser par la question préalable la proposition inouïe, soumise par deux personnes au Conseil municipal de Carpentras, en 1878 et 1879, de vendre les manuscrits, livres et objets les plus précieux de la Bibliothèque et du Musée, pour en appliquer le prix à des travaux de voirie. (Cf. sa Note sur la proposition faite par un conseiller municipal de vendre les manuscrits... de la bibliothèque et du Musée d'Inguimbert, Carpentras, Proyet aîné, in-8^o, et ses Pièces justificatives, supplément à la note du 14 juillet 1879, Carpentras, Proyet, 1883, in-8^o.) Ajoutons que l'un des auteurs de cette proposition, devenu maire de la ville et député de l'arrondissement, essaya de revenir sur ce double vote et entama en dessous main des négociations jusqu'en Angleterre, pour dépouiller son pays des richesses dont il avait la garde. Il est heureux que de pareilles tentatives n'aient pas réussi, et que leur insuccès semble avoir découragé ceux qui voudraient commettre ce crime de lèse-patrie), ancien professeur très renommé, qui donna une somme égale (1882) ; M. Isidore Moricelly, qui, à plusieurs reprises, fit différentes donations s'élevant à un total de 25,000 francs et qui par un testament, non encore exécuté, a laissé une rente annuelle de 5,000 francs à la Bibliothèque et au Musée ; M. le chanoine Seguin, au nom duquel ses frères ont remis une collection de 221 beaux volumes (1896) ; M. de Saint-Paulet, qui fit don de 957 volumes ou brochures (1897).

Nous devons pourtant une mention très spéciale aux nombreuses générosités des frères Bonaventure et Jules Laurens. Le premier, artiste et bibliophile des plus distingués, bien connu de toute la génération des littérateurs, musiciens, peintres, etc., de 1830, aussi bien en France qu'à l'étranger, a laissé à la Bibliothèque une collection d'œuvres musicales, manuscrites ou imprimées, qui est une des plus curieuses qui existent. M. Jules Laurens, non moins zélé que son frère pour l'accroissement de la Bibliothèque et du Musée, l'enrichit continuellement de dessins, autographes, livres, brochures, manuscrits. Ces bienfaiteurs, aussi savants que désintéressés, ne sauraient être assez loués et proposés en exemple.

Toutes ces donations, s'ajoutant aux envois de l'État et aux diverses acquisitions faites pendant le cours du XIX^e siècle, ont porté à 2,154 le nombre des manuscrits et à 55,000 celui des volumes imprimés.

Ce chiffre serait encore plus élevé, si l'on n'avait eu à constater des disparitions regrettables. Le D^r Barjavel, dans les notes qui accompagnent le Mémoire historique de l'abbé de Saint-Véran sur dom Malachie d'Inguimbert (P. 173), et M. Lambert, dans son Catalogue des manuscrits de la Bibliothèque de Carpentras (T. III, p. 405), ont signalé un certain nombre de lacunes qui se sont produites depuis la Révolution. Les plus importantes provinrent du fait des soustractions opérées par le célèbre Libri, qui s'était exercé surtout à dépouiller les registres de Peiresc des pièces les plus intéressantes.

Ses rapines auraient été favorisées par la négligence du bibliothécaire Olivier-Vitalis, qui, au dire des contemporains, ne surveillait en aucune façon ses agissements. Il est inutile de rappeler ici le procès célèbre qui s'engagea en 1848 et qui, après de longues années, se termina par une condamnation par contumace (Cf. la très intéressante préface écrite par M. L. Delisle, en tête de son Catalogue des mss. des fonds Libri et Barrois à la Bibliothèque nationale). On sait que Libri, ayant eu vent de poursuites qu'on allait engager contre lui, s'était empressé de gagner l'Angleterre pendant qu'à son domicile la police saisissait une grande quantité de documents, qui avaient été soustraits à des collections publiques. Ceux-ci ont été plus tard réintégrés dans les fonds auxquels ils appartenaient, et c'est ainsi que la Bibliothèque de Carpentras rentra en possession de toute une série de cahiers distraits des registres de Peiresc. Malheureusement, on n'avait pas pu mettre la main sur tous les livres et manuscrits volés : d'ailleurs, en 1847, Libri avait vendu secrètement sa collection de manuscrits au comte d'Ashburnham, qui eut, sinon sur le moment, du moins quelques années plus tard, la preuve de la source impure de beaucoup de ces précieux monuments. Le fils de l'acquéreur revendit au British Museum, à la Laurentienne de Florence et à la Bibliothèque nationale les manuscrits rassemblés à Ashburnham-Place : le fonds Libri fut partagé entre ces deux derniers établissements, et c'est là qu'on a retrouvé ceux qui avaient été enlevés de Carpentras (Voir à ce sujet, outre le Catalogue cité dans la note précédente, les deux mémoires de M. L. Delisle : Les manuscrits du comte d'Ashburnham, Rapport au ministre de l'instruction publique... (Paris, Imp. nat., 1883, in-4^o), et Notice sur des mss. du fonds Libri conservés à la Laurentienne, à Florence (extrait des notices et extraits des mss. de la Bibliothèque nationale, etc., t. XXXII, 1^re partie ; — Paris, Imp. nat., 1886, in-4^o)). En voici une liste, qui pourrait sans doute être encore augmentée de quelques numéros :

N^o 44 du catalogue Libri. Traité de comput et mélange de notes diverses à l'usage de l'église Saint-Orens d'Auch, XII^e siècle (Nouv. acq. lat. 456 de la Bibliothèque nationale (L. Delisle, Catalogue..., p. 80 ; Histoire littéraire de la France, t. XXXII, p. 263)) ;

N^o 111. Poèmes catalans. Ms. en papier de 46 feuillets, écrits au XV^e siècle, arraché du 381 de Carpentras (Espagnol 487 de la Bibliothèque nationale (C'est M. Paul Meyer qui en a reconnu la provenance : cf. Romania, t. XVI, p. 106, note ; L. Delisle, Catalogue..., p. 123)) ;

N^o 409. Illibro del Cortegiano, ms. original de Castiglione, ayant appartenu au fameux bibliophile Grolier (à la Laurentienne (L. DELISLE, Notice, p. 51)) ;

N^o 1676. Correspondance de Peiresc, lettres écrites par ce savant, reliées en deux volumes (Nouv. acq. franc. 5170 et 5171 de la Bibliothèque nationale (Idem, Catalogue..., p. 150)) ;

N^o 1823. Mémoires généalogiques sur la famille de Malherbe, ms. autographe de Malherbe provenant vraisemblablement du cabinet de Peiresc (partie du 5168 des Nouv. acq. franç, de la Bibliothèque nationale (Idem, ibidem, p. 145)) ;

N^o 1824, formé de dossiers enlevés dans trois recueils de Peiresc de la Bibliothèque de Carpentras (à la Laurentienne (Idem, Notice, p. 88 et 89)) ;

N^o 1837. Papiers divers tirés du cabinet de Peiresc ou extraits de ses registres (partie du 5174 des Nouv. acq. franç, de la Bibliothèque nationale (Idem, Catalogue, p. 151)) ;

N^o 1838. Registre dans lequel Peiresc notait les lettres écrites à ses correspondants de 1622 à 1632 (Nouv. acq. franç. 5169 de la Bibliothèque nationale (Idem, ibidem, p. 146)) ;

N^o 1863. Poésies, lettres et notes autographes de Malherbe (première partie du 5168 des Nouv. acq. Franç. de la Bibliothèque nationale (Idem, ibidem, p. 145)) ;

N^o 1865. Minutes ou copies de lettres écrites par Peiresc (Nouv. acq. franc. 5172 de la Bibliothèque nationale (Idem, ibidem, p. 147)) ;

N^o 1872. Une partie du recueil de lettres autographes de personnages illustres, qui formait ce n^o de Libri, provenait encore de la Bibliothèque de Carpentras : c'est la correspondance adressée à Peiresc (Nouv. acq. franç. 5173 de la Bibliothèque nationale (Idem, ibidem, p. 145)).

Voilà ce que l'on sait pertinemment ; mais dans le désordre qui, sous l'administration d'Olivier-Vitalis, régnait à la Bibliothèque de Carpentras, il est à redouter que d'autres larcins, dont il est difficile de retrouver la trace, aient été effectués.

L'absence de catalogue, surtout pour les manuscrits, avait singulièrement facilité les détournements de Libri. On se souvient que les ministres de l'intérieur avaient, pendant longtemps, réclamé, sans aboutir, la confection d'un inventaire complet. Après l'affaire Libri, c'était un devoir pour la municipalité d'assurer désormais la conservation de ses richesses. Par ses soins, en 1862, fut publié le Catalogue descriptif et raisonné des manuscrits de la Bibliothèque de Carpentras, rédigé par M. C.-G.-A. Lambert, bibliothécaire. Il comprend trois volumes in-8^o de XX-463, XV-473 et 442 pages. C'était un véritable monument, qui, à l'époque où il parut, passa à bon droit pour un des meilleurs catalogues des manuscrits de nos bibliothèques publiques. Il n'est pas cependant sans défauts ; les manuscrits anciens ne sont pas toujours exactement détaillés, les pièces des recueils ne sont pas foliotées, etc. En tout cas, il rendit les services que l'on était en droit de réclamer.

Les imprimés n'ont pas encore eu le même honneur, et le catalogue n'en a jamais été imprimé. On doit cependant citer les Notes sur les imprimeurs du comtat Venaissin et de la principauté d'Orange, et catalogue des livres imprimés par eux qui se trouvent à la Bibliothèque de Carpentras, que Mlle M. Pellechet a publiées en 1887.

Les collections léguées par Mgr d'Inguimbert n'occupent plus aujourd'hui l'hôtel de Grandis-Pomerol, où le fondateur de la Bibliothèque s'était plu à les loger. Des projets d'agrandissement de place publique et d'élargissement de rues déterminèrent la municipalité de 1847 à aliéner cet immeuble, pour une somme de 40,600 francs. Pour le même prix environ, on acquit l'ancien hôtel d'Allemand, où les livres et objets d'art ont été transférés, du 8 juin au 14 août 1847. C'est dans ce local, agrandi il y a une douzaine d'années, qu'ils sont actuellement et qu'il est donné à toute personne, selon le vœu de d'Inguimbert, de profiter des richesses bibliographiques dont se compose l'établissement. L'emplacement est vaste et permet de nombreux accroissements : aussi la municipalité d'aujourd'hui a-t-elle cru agir sagement, en y déposant encore tout récemment ses magnifiques archives communales antérieures à 1790 (En terminant cette Introduction, j'ai l'agréable devoir de remercier mon collègue et ami M Liabastres, conservateur de la Bibliothèque et du Musée de Carpentras, qui, avec une parfaite obligeance, s'est mis à mon entière disposition pomme faciliter ma tâche et me procurer les documents nécessaires. La connaissance approfondie qu'il possède des collections à lui confiées m'a été plus d'une fois extrêmement utile).

L.-H. LABANDE.