« Note du citoyen Forfait sur la manière de débarquer l'artillerie et les chevaux pour une descente en pays ennemi » (p. 61)

Ch. DE LA RONCIÈRE.

Le Catalogue des manuscrits des bibliothèques de la Marine, publié en 1907, appelle un notable supplément. Sous l'impulsion de M. Dagnaud, sous-directeur du service des archives et bibliothèques au ministère de la Marine, une revision minutieuse de tous les dépôts a été faite. Au ministère, au Dépôt des cartes et plans et à Brest, elle a donné d'importants résultats. Rue Royale, des cartons de documents et des cartes ont été retrouvés dans les combles. Rue de l'Université, au fond des armoires où les volumes sont parfois sur trois et quatre rangs de profondeur, l'actif et obligeant bibliothécaire, M. Bonhomme, a découvert 135 nouveaux manuscrits. Enfin, à Brest, se trouvaient encore des épaves du fonds Levot, qu'on avait omis d'adresser au ministère en 1904-1905, date où je classais et cataloguais les papiers de cet érudit.

I. BIBLIOTHÈQUE DU MINISTÈRE DE LA MARINE

Au ministère de la Marine, ont été exhumés de la poussière trois cartons remplis de documents, de dessins et de lavis sur l'artillerie des XVII^e et XVIII^e siècles. Sous la signature des fondeurs et des officiers d'artillerie les plus renommés du temps de Louis XIV, des Landouillette de Logivière, des Émery de Lyon, des Dupin de Bélugard, des de Ressons, des de Combes, défilent tous les types de canons et de projectiles employés à bord des vaisseaux : canons, obusiers, mortiers, bombes, carcasses incendiaires, boulets enchaînés, machines infernales, fusées pour mettre le feu aux voiles, « poudre artificielle pour brûler les vaisseaux ». Signalons notamment une bombe, haute de huit pieds et du poids de 9000 livres, qui devait être employée comme machine infernale lors du bombardement d'Alger en 1683 (Ms. 357 (G 201)).

Une autre série de recueils comprend les cartes et plans exécutés pour la mise en état de défense de notre littoral lors des guerres de Louis XV (Ms. 360 (G 204 et suivants)) et de Napoléon. On y trouvera des devis des travaux exécutés au camp de Boulogne, avec le visa de Bonaparte (Ms. 364 (G 208)), des cartes et plans des arsenaux maritimes créés ou réorganisés durant le Premier Empire non seulement en France, mais aux Pays-Bas (Mss. 371-374 (G 215-218)) et en Italie (Ms. 375 (G 219)), voire en Espagne (Ms. 367 (G 211)). Quelques-uns de ces documents sont de véritables œuvres d'art, tels : la « Carte topographique des entrées et cours de la rivière de Seine et de celles qui s'y desgorgent, par le chevalier de Clerville, commissaire général des fortifications de France », l'un des meilleurs ingénieurs hydrographes du règne de Louis XIV (Ms. 365 (G 209)) ; « la carte de la côte de Provence corrigée par des observations géométriques et astronomiques, par le s^r Barras de La Penne, capitaine de galère, en 1693 (Ms. 369 (G 213)) » ; enfin, un magnifique plan de Wissant et de la côte environnante, exécuté en l'an XIII pour le ministre Decrès (Ms. 364 (G 208)).

Un dossier de pièces originales relatif à Bougainville met en lumière l'admirable désintéressement du grand navigateur, qui n'hésita pas à sacrifier une partie de sa fortune pour entretenir à l'Isle de France un indigène qu'il avait ramené de Tahiti (Ms. 376 (G 220)).

II. BIBLIOTHÈQUE DU DÉPOT DES CARTES ET PLANS

Au Dépôt des cartes et plans, la moisson est encore plus riche. Quelques-uns des manuscrits retrouvés ont un intérêt exceptionnel, tels, en hydrographie, les plans et la description des nombreuses baies du détroit de Magellan, explorées en 1699-1700 par l'ingénieur de Labat (362 (5618)) ; les plans des ports de la Méditerranée, levés en 1713 par Michelot (278 (1035 A)) ; un journal de navigation dans le rio de La Plata par le capitaine Hervaud, ancien compagnon de Bonaparte lors de l'expédition d'Égypte (363 (5660 A)) ; l'hydrographie de la côte de Cochinchine dressée dès 1800 par un Français, alors mandarin de la cour de Cochinchine, et qui s'appelait J.-M. Dayot (280 (1133 G)).

A l'histoire de nos voyages autour du monde, le présent catalogue apporte un important contingent. Les biographes de Bougainville y trouveront un journal de son expédition aux îles Malouines, où il comptait fonder en 1764 et 1765 une colonie (364 (5680 A)) ; la relation, par un de ses chirurgiens de marine, de son voyage autour du monde (1766-1769) (351 (4150 A)), et enfin son journal de bord durant la Guerre de l'Indépendance (374 (7228 B)). Le voyage de Surville dans les mers Australes est relaté par son lieutenant (365 (5708 A)) et par son subrécargue (366 (5708 B)). Au comte d'Estaing se rapportent des mémoires sur sa brillante expédition aux îles de la Sonde, en 1759 (375 (7228 C)), et sur le siège de Savannah en 1779 (377 (7263 A)). Du voyage autour du monde de La Pérouse, voici les dessins originaux rapportés en cours de route par de Lesseps (352 (4174)). De la campagne de la Coquille, qui illustra Duperrey, il subsiste les croquis et les gouaches du dessinateur de l'expédition, dessins précieux non seulement pour l'ethnographie des races océaniennes, mais aussi pour la figuration de sites qui s'altèrent : on y trouve une vue de « la maison de Bonaparte à S^te Hélène » en 1823 (355 (4211 A)).

La cartographie de la France au XVII^e siècle s'enrichit de plusieurs documents précieux : une « Carte généralle de Dauphiné », en neuf feuilles (348 (3968 B)) ; une série de plans des forêts et bois de haute futaie de Normandie et Picardie, avec les noms de leurs propriétaires (330 (1522 C)) ; les plans des forêts communales du Labourd en 1685 (331 (1522 C)). Ces levés étaient faits en vue de nos constructions navales, car il fallait des arbres magnifiques pour la charpente ou la mâture de vaisseaux comme le Royal-Louis, dont nous avons ici le devis en date de 1692 (328 (1510 D)). On peut comparer au vaisseau amiral de Louis XIV celui de la marine napoléonienne et opposer au Royal-Louis de François Coulomb l'Océan, dont nous avons également le devis, daté de floréal an X et signé par Sané, l'illustre directeur des constructions navales du Premier Empire (324 (1510 A², tome IV)). Les documents sur les constructions navales, sur la marine de la Révolution et de l'Empire abondent.

Les colonies, qui dépendaient autrefois du ministère de la Marine, sont l'objet de plus d'un mémoire, témoin « la description géographique de la Güiane », par Bellin (1761) (346 (3818 A)) et le Recueil des cartes de la Guyane, par Buache (350 (4049)) ; une riposte portugaise à nos prétentions sur la rive gauche des Amazones (372 (7147 B)), lointain prélude du contesté franco-brésilien ; un projet de créer une base d'opérations, « un port de sûreté dans l'étang de Nocévé », à Madagascar (371 (7024 A)), et enfin la triangulation de Tahiti (341 (2350 C)) et du French Shore à Terre-Neuve (281 (1183 A)).

Il n'y a point que des documents maritimes dans la bibliothèque du Dépôt des cartes. Voici une « histoire des Turcs », qu'un abbé normand du XVIII^e siècle a tirée des papiers d'un de nos ambassadeurs du siècle précédent (370 (6788 A)) ; voici encore les récits de voyage d'un Capucin de Paris à Rome et Lorette (1700) (357 (4294 A)), d'un abbé parisien en Pologne (1688-1689) (358 (4647)) et d'un officier de gendarmerie à Saint-Pétersbourg (1757) (359 (4662)). Un recueil de dessins, qui n'ont pour tout commentaire que de courtes légendes en italien, se rapporte à un voyage au Mont-Carmel, en Perse et dans l'Inde au XVII^e siècle (360 (5038 B)). De nombreuses lettres proviennent des premières missions françaises au Siam et en Chine, sous le règne de Louis XIV (368 (5822)).

Dans le domaine de la guerre, je signalerai les plans originaux des souterrains aménagés en 1746 sous la citadelle d'Anvers (343 (2782 B)) ; une relation avec plan, par un de nos futurs généraux, Brière de L'Isle, du siège de Montevideo en 1851 (373 (7156 C)).

Pour les linguistes, textes et vocabulaires ne manquent point. Ils trouveront, dans ce supplément, de l'espagnol (367 (3812), 283 (1229 Z)), de l'italien du XV^e siècle (313 (1486 A)), de l'islandais (339 (2016 B), 390 (7991) et 391 (7991 A)), du chinois (378 (7638 B)), du cochinchinois (379 (7638 C)), les dialectes de Java (380 (7640 G)), des îles Mariannes (381-385 (7640 H), 386-388 (7640 I), 389 (7640 J)) et de Tahiti (257 (5 B)).

Comme provenance un peu notable, je ne vois à signaler que la collection Monteil (260 (125 M), 261 (126 A), 264 (158 C), 265 (160 B), 269 (272 A), 317 (1492 A), 335 (1606 A), 369 (5837 E), 374 (7228 B)), déjà largement représentée dans le précédent catalogue, et un certain nombre de manuscrits précieux donnés au Dépôt par l'amirale Decrès, veuve du ministre de la Marine (266 (160 B), 268 (175 B), 353-354 (4197 A), 376 (7249 C)).

III. BIBLIOTHÈQUE DU PORT DE BREST

Les papiers retrouvés à la bibliothèque du port de Brest proviennent en grande partie du savant bibliothécaire Prosper Levot. Ils se rapportent aux divers genres de travaux qu'il avait entrepris, Biographie bretonne, Essais de biographie maritime, Histoire de la ville de Brest. En dehors des notices de Levot, le présent supplément comprend un grand nombre de documents originaux d'un intérêt primordial pour notre histoire maritime et coloniale : tels, un recueil de pièces sur la marine de guerre, signées de Duguay-Trouin, du maréchal d'Estrées, d'Orvilliers et des ministres Maurepas, Choiseul, Turgot, de Castries (Ms. 161) ; un autre recueil sur les batailles navales livrées sous la Première République et l'Empire, sur le Vengeur (Ms. 167), l'expédition d'Irlande, Trafalgar (Ms. 168) ; le procès de Kerguélen (Ms. 171), au retour de son expédition aux Terres australes ; des dossiers de pièces originales sur divers amiraux français, etc.

A nos colonies se rapportent des lettres datées des Antilles et témoignant de la rancœur qu'avait laissée aux colons l'indifférence de Louis XV pour eux : « La faillite que la France a fait en 1759 à ses colons de l'Amérique, anéantit icy tout le crédit du Roy (Dépêche du président Tascher ; La Martinique, 12 mars 1772. (Ms. 161)), » dit l'un d'eux. Des plus intéressante, est la correspondance du général Decaen, capitaine général des établissements français à l'est du Cap de Bonne-Espérance au temps de l'Empire, car elle synthétise toute notre politique dans l'océan Indien ; elle comprend des rapports de course, des textes diplomatiques, attestant nos relations avec l'iman de Mascate, le gouverneur général des Indes néerlandaises à Batavia et les établissements portugais d'Asie (Ms. 159). La correspondance ministérielle avec le général Bouvet de Lozier, lors de notre reprise de possession de l'île Bourbon, est à noter aussi : elle montre la répercussion qu'eurent aux colonies la chute de l'Empire, puis les Cent-Jours (Ms. 160).

Pour l'histoire de la Révolution en Bretagne, trois liasses, comprenant plus de quatre cents pièces originales (Mss. 169, 170 et 175), offrent le plus haut intérêt. C'est la correspondance des représentants du peuple en mission près des armées de l'Ouest, soit entre eux, soit avec les généraux des troupes de la République, soit avec les municipalités bretonnes. On y suit presque jour par jour les vicissitudes de la chouannerie et particulièrement l'affaire de Quiberon.

Au recueil d'autographes constitué par Levot (Mss. 143-151. (Cf. le Catalogue général des manuscrits... Bibliothèques de la Marine, p. 374)) vient s'ajouter un supplément ; de même, les archives de l'Académie royale de marine (Mss. 64-110 (ibidem, p. 296)) s'accroissent d'un bon nombre de mémoires, ainsi que d'un dossier sur l'abbé Rochon, garde des instruments d'astronomie et des livres de la bibliothèque de l'Académie (Ms. 162).