(Recueil)

La collection de manuscrits de la bibliothèque publique de Boulogne a été tirée, pour la plus grande partie, des dépôts formés à Arras et à Saint-Omer au début de la Révolution, lors de la suppression des couvents et des monastères situés dans la circonscription du département du Pas-de-Calais. Quelques-uns de ces établissements étaient renommés par leur richesse, par leur haute antiquité, par leurs trésors littéraires, fruit des études qui autrefois y florissaient : tels étaient Saint-Bertin et Saint-Waast ; aussi leurs dépouilles ontelles fourni le plus fort contingent à la bibliothèque qu'il s'agissait de joindre à l'école centrale de Boulogne en 1797 et 1798.

Saint-Bertin a dû livrer ainsi 81 manuscrits ; Saint-Waast, 32, puis, à la suite, le chapitre de Notre-Dame-d'Arras, 16 ; Saint-Éloi-du-Mont, 14 ; Saint-André-du-Bois, 2 ; Henin-Liétart, 2 également ; les capucins de Boulogne et Sainte-Marie-de-Bourbourg, 1 seul chacun. Tous les autres, d'une assez mince valeur, viennent de l'ancienne Société littéraire d'Arras, de dons faits par divers particuliers, d'acquisitions récentes, dont la plus importante est celle du cartulaire de Simon de Saint-Bertin, que l'on a cru longtemps perdu, et enfin de copies modernes exécutées avec le plus grand soin, grâce à l'habile et active initiative du bibliothécaire, M. Gérard, qui a pris à tâche de réunir tous les documents qui se rattachent à l'histoire du Boulonnais dans la bibliothèque qu'il dirige avec tant de zèle et de dévouement.

Si les mesures révolutionnaires ont eu pour Boulogne l'avantage de lui procurer une collection précieuse, elles n'en sont pas moins regrettables à un autre point de vue, puisqu'elles ont dépouillé d'autres villes, qui n'appartenaient pas au même diocèse, d'ouvrages qui se rattachent intimement à l'histoire littéraire de quelques-unes de leurs maisons religieuses, ou de documents importants pour leurs annales.

Elles ont eu en outre l'inconvénient de favoriser des dilapidations, dont le résultat a été notamment la perte de quelques monuments précieux ; nous signalerons entre autres la disparition prolongée d'un cartulaire de Saint-Bertin, qui laissait dans la publication de M. Guérard une lacune regrettable, que vient heureusement de combler un appendice dû aux soins de M. Morand.

Il eût été préférable aussi de voir figurer sur les tablettes de la bibliothèque de Saint-Omer, à côté de la vie de saint Bertin et de ses disciples, saint Folquin, saint Silvain et saint Winnoc (n^o 107), l'exemplaire de Sulpice-Sévère (n^o 102), écrit en 994 (Voy. les Petites annales Bertiniennes, rédigées par D. Tassart, n^o 747 du Catalogue de Saint-Omer, et avertissement, p. 5) par le moine Herricus à l'instigation de l'abbé Odbert et signalé par D. Tassart, et ce psautier magnifique (n^o 20), librum Davidicum perpulchrum, écrit, d'après le même témoignage, en 999, par le moine Heriveus (peut-être le même que Herricus), en collaboration également avec l'abbé Odbert, qui en dessina les ornements, et le moine Dodolin, qui fit les extraits. Ces trois manuscrits, indépendamment de leur ancienneté, se signalent par le mérite de l'exécution, et, rapprochés de ceux de la bibliothèque de Saint-Bertin, ils donnent un spécimen plus complet du style d'ornementation qui alors y était en usage.

Saint-Waast est représenté bien plus faiblement à Boulogne, car la majeure partie de ses manuscrits est restée à Arras. Fondée vers 672, cette abbaye, célèbre à tous égards, peut citer deux noms qui figurent avec un certain éclat dans l'histoire littéraire du XII^esiècle, celui du prieur Lambert, auteur de diverses pièces de vers sur des sujets pieux et d'un poëme sur la Bible entière, qui se trouvait autrefois à l'abbaye de Pontigny, et celui de Guiman, son frère, qui composa un cartulaire curieux d'après les archives du monastère. Quelques-uns des manuscrits de Saint-Waast sont remarquables par leur ancienneté et leur exécution ; mais ce n'est que dans le catalogue d'Arras qu'on peut apprécier l'importance et la richesse de cette collection, dont une partie, malheureusement, a été enlevée à la France, pour aller enrichir l'Angleterre.

Le chapitre d'Arras, qui doit avoir eu une bibliothèque assez considérable, ne fournit que la moitié des manuscrits provenant de Saint-Waast. Aucun d'eux ne se distingue par un mérite particulier. Le plus curieux est le n^o 116, qui, à la suite de la collection des décrétales, donne le catalogue d'une bibliothèque du XII^e siècle, qui a été reconnue par M. Delisle être celle de Saint-Martin-de-Tournai. On peut citer à cette occasion le don de deux manuscrits, fait à cette église par M. Fr. de Ranchicourt, archidiacre d'Ostrevant et parent de l'évêque d'Arras, du même nom, Pierre de Ranchicourt, qui occupa le siége épiscopal de 1472 à 1499.

Le Mont-Saint-Éloy-lès-Arras, cœnobium Montis Sancti Eligii, était, dans l'origine, un ancien oratoire de saint Éloy, qui, détruit en 880, et reconstruit en 950, fut, en 1066, érigé en chapitre de chanoines réguliers de l'ordre de Saint-Augustin. Le chanoine Arnoul, qualifié de vénérable vieillard, vers 1194, a donné, sur la fin du XII^e siècle, une explication de la messe en vers hexamètres. Au XIII^e siècle, l'abbé Étienne du Fermont et Servat son successeur, tous deux docteurs en théologie de l'Université de Paris, ont sans doute favorisé les études dans ce monastère. Les quatorze manuscrits qui en proviennent semblent appartenir à cette époque ; ils rentrent, en général, dans la classe des livres qu'on trouvait dans la plupart des bibliothèques ecclésiastiques.

Henin-Liétart ou Notre-Dame-sous-Evrin-lez-Henin-Liétart, entre Douai et Sens, diocèse d'Arras, érigé en collégiale en 1040, avait pris, en 1094, la règle de Saint-Augustin, et dépendait, au XII^e siècle, de Saint-Nicolas-d'Arrouaise. Baudouin de Glen, abbé de 1562 à 1594, a laissé, avec d'autres écrits, une chronique de ce monastère. Des deux manuscrits qui en proviennent, n^os 14 et 15, le premier se signale par son ornementation.

On peut en dire autant de celui qui vient de Saint-André-du-Bois, Sanctus Andreas in Nemore, ordre de Prémontré, au diocèse d'Amiens, fondé, en 1157, à Gremecourt entre Montreuil et Hesdin.

Sainte-Marie-de-Bourbourg, abbaye de femmes de l'ordre de Saint-Benoît, fondée en 1099 près de Gravelines, au diocèse de Saint-Omer, n'a fourni qu'un manuscrit, la chronique de Sigebert avec une continuation faussement attribuée à Robert du Mont ; et encore, avant d'arriver à Boulogne, ce livre avait-il passé par la bibliothèque de Saint-Bertin. Ce manuscrit étant le seul de cette provenance, on peut en conclure que le couvent de Sainte-Marie-de-Bourbourg, comme les couvents de femmes en général, n'en possédait que fort peu.

Il serait difficile de déterminer ce qui a guidé M. Isnardy, premier bibliothécaire de Boulogne, dans le choix des manuscrits qu'il a fait. Sous le rapport littéraire, ce choix a peu de valeur, et il est aisé de voir qu'il aurait pu en avoir beaucoup plus, si l'on examine ce que possèdent encore Arras et Saint-Omer, malgré toutes les pertes subies. Il n'en est pas de même au point de vue des éludes paléographiques, et l'on doit avouer que Boulogne possède une réunion de manuscrits des plus précieux sous le rapport de l'âge, de l'exécution calligraphique et de l'ornementation, dignes d'être consultés et étudiés. Aussi le bibliothécaire, M. Gérard, qui sait apprécier ces richesses, en a rédigé une description détaillée, qui nous a fourni de nombreux et utiles renseignements.

Il est à regretter que le local de la bibliothèque ne réponde pas à l'importance des collections qu'elle renferme ; car il laisse beaucoup à désirer pour l'arrangement et la conservation des livres. Aussi joignons-nous nos vœux à ceux du modeste et bienveillant fonctionnaire qui la dirige, afin de voir un jour la ville de Boulogne donner un asile plus convenable aux trésors scientifiques qu'elle possède.

H. MICHELANT.