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Manuscrit autobiographique

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Modifié le : 18/02/2025

Présentation globale de la collection

Etablissement de conservation
Bibliothèque Marguerite Durand. Paris Voir tous les inventaires
Tous les inventaires
Intitulé de l'instrument de recherche Lettres autographes et manuscrits, 3 : R à Z
Cote R à Z
Titre Lettres autographes et manuscrits, 3 : R à Z
Conditions d'accès L'accès aux collections patrimoniales est soumis à une autorisation préalable.
Conditions d'utilisation Toute publication de documents inédits doit être notifiée à l'établissement.
Citer sous la forme Bibliothèque Marguerite Durand, lettres autographes et manuscrits, 3 : R à Z. [cote]

Informations sur l'instrument de recherche

Auteur(s) Bibliothèque Marguerite Durand
Éditeur Bibliothèque nationale de France
Date de la version électronique 2019
Langue(s) de l'instrument de recherche Catalogue rédigé en français
Description des révisions
  • 2019
    • De nombreuses biographies ont été ajoutées en 2019 pour les personnalités les moins connues, librement inspirées du "Dictionnaire des féministes" dirigé par Christine Bard, des biographies en annexe à la thèse de Christine Bard "Les féminismes en France : vers l'intégration des femmes dans la Cité, 1914-1940" et de notices de libraires, de catalogues de ventes, des bases Data Bnf et Wikipédia également
Notes
Permalien https://ccfr.bnf.fr/portailccfr/ark:/16871/005FRCGMNOV-751135101-sQ7
Présentation du contenu
Titre Vincent, Eliska  
Biographie ou histoire 1841-1914. Militante socialistelien elle participe à la Commune de Parislien. Féministelien elle est cofondatrice en 1869 de la "Société pour la revendication du droit des femmes", elle rejoint plus tard le Conseil national des femmes française, l'Union française pour le suffrage des femmeslien, elle est considérée comme la première archiviste du mouvement féministe français. Franc-maçonnelien elle participe à la fondation de la loge mixte Le droit humainlien
Catalogue général des manuscrits
Description du contenu
Cote :  Ms 168 mf Importance matérielle :  15 pages Autres caractéristiques matérielles :  Manuscrit autographe écrit sur les supports les plus divers : publicité, papier quadrillé. Manque la page 6 mais un petit feuillet est épinglé à la page 7 Présentation du contenu : 

Récit autobiographique très vivant constituant un précieux témoignage sur les journées de 1848lien et surtout sur la Communelien à laquelle Eliska Vincent participa activement

Page 1 : "Elevée dans un milieu très avancé depuis que j’ai des souvenirs, j’ai toujours entendu autour de moi débattre les questions politiques et sociales les plus avancées. Mon père originaire des environs de Dreux vint à Asnières en 1844, tout jeune il était républicain.Ma mère était d’un village près de Condé-sur-Vesgre où les Saint-Simoniens avaient fondé en 1833 la colonie qui existe encore aujourd’hui. Les paysans allaient assister aux réunions que les Saint-Simoniens tenaient. Ils chantaient des chansons énumérant les bienfaits de la loi des Simoniens : « C’est la religion du vrai bonheur ».Notre mère nous entretenait souvent de ces hommes qui étaient regardés comme des messies par les campagnards, d’autant qu’ils étaient très généreux.

Page 2 : Lorsque la révolution de 1848 survint [mots barrés : mon père et] les républicains d’Asnières organisèrent des clubs pour discuter.[3 lignes barrées reprises plus bas]. Mon père était un fervent disciple du citoyen Cabet qui depuis longtemps avait posé les bases du communisme qu [’il ] a développé dans son volume Voyage en Icarie. Il existait une grande animosité entre les communistes et les partisans de Proudhon, ils étaient sans cesse en guerre. Les communistes étaient pour accorder les droits politiques aux femmes, les rendre égales aux hommes, les proudhoniens s’efforçaient de ridiculiser Cabet et surtout les femmes qui allaient dans les clubs.C’est ainsi que je [me] souviens des réunions : parmi les orateurs Cabetlien, Cantagrel, V. Considérant, Pierre Leroux, Malarmet, Demosthene Ollivier, Jeanne Deroin et bien d’autres. Le club d’Asnières était très avancé

Page 3 : Les contemporains seuls peuvent savoir l’animosité qui existait contre les communistes. Les Proudhoniens usaient de tous les moyens pour détruire l’idée communiste. Les débats dans tous les clubs étaient acharnés. Jeanne Deroin allait chaque jour dans les clubs, elle réclamait l’égalité des femmes devant la loi, elle était soutenue par tous les communistes, les disciples de Pierre Leroux, le fouriériste Victor Considérant et autres. J’ai en mains une bien curieuse médaille, souvenir du banquet fraternel des femmes socialistes jour de Noël 1848. Une face représente un diable ailé avec ces mots : « Le diable prêchant l’Evangile ». C’est nous qui sommes les vrais apôtres. Un de mes oncles fut pris à la suite des journées de juin et transporté à Belle-Ile-en-Mer. Lorsqu’il revint plusieurs années après, il racontait combien la détention avait été dure.Chez mon père on tenait un club privé.

Page 4 : Vint le 2 décembre. Je me souviens parfaitement que mon père alla avec six républicains d’Asnières aux rendez-vous fixés par ceux qui voulaient organiser la défense contre le coup d’état. Quelques jours après les journées de décembre, mon père fut arrêté avec ses amis, 7 en tout internés à Bicêtre. Il était avec Pierre Lachambaudie, le docteur Lesere, Baudet [et d’] autres.L’Empire fut voté, tous les républicains surveillés, il n’y eut plus d’agitation politique. Lors de l’attentat d’Orsini, la loi de sûreté générale fut votée, une étroite surveillance sur tous ceux qui avaient été emprisonnés à la suite du 2 décembre, des amis de mon père furent transportés en Algérie. J’ai commencé à prendre intérêt à ce que je lisais à la suite d’un roman publié dans Le Siècle, « Jacques Ganneson » [il s’agit en fait de « Jacques Galéron »], un des premiers ouvrages de Mme André Léo. Un ami de mon père [Charbonnier : mot barré] avait été à Boussac avec Champseix, devenu le mari de Mme André Léo. Exilé, il envoyait des correspondances de l’étranger au Siècle, seul journal républicain.

Page 5 : Les républicains commencèrent à faire de l’opposition à partir de 1869. Jules Simon fut élu député de notre circonscription puis vint la fondation du journal Le Courrier français dont le directeur en chef était Vermorel qui depuis fut membre de la Commune. Ensuite des réunions publiques furent organisées au Vauxhall rue de la Douane, à la salle Favier à Belleville où l’élément communiste dominait, représenté par Malarmet, Gabriel Ranvier, qui devint membre de la Commune, la citoyenne Desmars Petit qui avait été emprisonnée avec Jeanne Deroin.En 1868, sous l’inspiration de Mme André Léo, fut fondée la société la Revendication des droits de la femme avec Mmes Verdure, Ranvier, Louise Michel, Elisée Reclus, Vincent, Mauriceau, Deraismes, La Cécilia, Mme Gagneur femme du député fouriériste Wladimir [et non Willem comme indiqué] Gagneur, MM. Malarmet, Francolins, Desmoulins, Netré [et non Nettré], Pecqueur et autres

Page 6 : Une somme de 11000 [francs ?] fut collectée pour fonder une école laïque libre dont le programme fut adopté par les souscripteurs. On fit appel par un concours aux institutrices laïques et furent désignées Mme Eugénie Pottier, Mme Vivien, institutrices l’une et l’autre à Paris. La somme de 11000 [francs ?] fut déposée à la banque Arlès Dufour dont le dévouement à la cause des femmes était bien connu. Un programme de la revendication du droit des femmes fut discuté, adopté, un projet de loi écrit ; il avait été déposé à la Chambre par le député Gagneur. Lorsque survint la guerre de 1870, tout fut suspendu, les femmes songèrent à se grouper pour discuter sur la défense nationale qui absorbait tous les esprits. Nous allâmes consulter Mme André Léo qui restait alors 90 ¬[en fait 92] rue Nollet, on convint qu’on se réunirait dans l’école privée de Mme Eugénie Pottier, une des institutrices qui avait été choisie au concours de l’école laïque. Des convocations furent adressées, des hommes vinrent discuter avec les femmes,

Page 7 : Malarmet, Ranvier, A. Desmoulin[s], Charbonnier, Benoit Malon, Petit, Géniller, Lefrançais, Jules Allix, Nétré, et tant d’autres. Des réunions s’alternèrent rue du Cloitre Notre-Dame, au Gymnase Trial aux Champs Elysées, et rue Folie Méricourt. Là se trouvaient Mmes Eugénie Niboyet, Adèle Esquiros, Louise Michel, La Cecilia, Laffitte, Vincent, Mauriceau, André Léo, Vivien

Page 8 : Période du Siège 1870. Manifestation pour Strasbourg. Louise Michel dans son Histoire de la Commune page 74 fixe au 18 septembre cette manifestation. Parties de la place de la Concorde, un grand nombre de femmes se rendirent à l’Hôtel de Ville. André Léo, Louise Michel étaient en tête, Mmes Vincent, Mauriceau, Girard, Laffitte, Vivien, Pottier suivaient, et bien d’autres. Michel et André Léo furent gardées à l’Hôtel de Ville.

Page 9 : Période de la Commune. M. Da Costa père vint nous mettre au courant ainsi qu’un délégué de l’Assistance publique nommé Renard qui fut chargé de faire l’inventaire avec 2 employés. Au service de la pharmacie, j’ai rencontré avec surprise le fils de Guillaud (ou Guillard ?), le pharmacien de la Grande Rue à Asnières. Etudiant en pharmacie, il avait pris cet emploi pour se soustraire au service de la garde nationale. Au bout de quelques jours, nous étions organisées, tous les services, lingerie, bain, prêt de linge, consultations médicales, fonctionnaient à la grande satisfaction de la population ouvrière du quartier. Le directeur de l’Assistance publique était M. Treillard de Lyon. Le s[ervice de] l’enseignement était sous la direction des citoyens Vaillant, le député actuel, Rama et Manier qui fut après conseiller municipal de Paris, les 2 anciens instituteurs morts depuis. Un comité de femmes était installé dans le 10e arrondissement pour surveiller ; J’avais reçu des ordres formels du comité central installé à la mairie du 10e arrondissement par le citoyen Lesoudier de ne pas recevoir les femmes composant le comité, qui devait rester en dehors de tout service administratif malgré toutes les tentatives que firent les femmes pour diriger les services.

Page 10 : Période de la Commune. Une amie, Mme Petit Desmars, fut installée comme directrice dans la maison de secours de la rue du Terrage, cette maison était beaucoup moins importante que celle de la rue du Corbeau, une autre de nos amies dont le mari avait été tué dirigeait la maison de la rue Chabrol. Absorbée par l’organisation intérieure de la maison rue Corbeau, je n’avais pas le temps de suivre les réunions où les femmes se réunissaient. J’avais trouvé la maison et les salles du premier étage qui servaient de magasin dans le plus grand désordre, les sœurs étaient parties précipitamment fin mars, toutes les étoffes étaient mêlées. Voici comment fonctionnait le service du prêt gratuit du linge ; 2 commerçants du quartier se portaient garants d’une somme de 10 ou 12 francs pour une paire de draps, 3 fr pour une chemise. Les nécessiteux venaient chaque semaine échanger le linge propre. Ce service était pénible, le blanchisseur venait prendre le linge sale. Dans les derniers jours de la Commune nous ne pûmes arriver à fournir. J’ai eu beaucoup de peine à empêcher que la maison ne fût vidée, dans certaines maisons de l’assistance tout le linge fut distribué les derniers jours de la lutte à tous ceux qui se présentèrent. Je peux dire seule j’ai réussi par mon énergie à rendre la maison telle que je l’avais reçue, avec l’ordre en plus.

Page 11 : Période de la Commune. Lors de l’entrée des Versaillais le dimanche 22 mai j’étais avec Mme Petit à la mairie du 4e arrondissement, il y avait dans une vaste salle au premier étage une réunion où se tenait une assemblée de femmes discutant sur la situation de Paris. C’est la première fois que j’ai vu Mme Dimitrieff, une jeune ( ? ) russe ou polonaise, je ne sais au juste, qui passait pour être patronnée par Léo Frankel. Elle était vêtue en noir + une ceinture rouge, un revolver passé dans la ceinture, une épaisse chevelure. J’avoue que j’ai préféré de beaucoup l’allure simple et modeste de Mme Lemel, la vaillante relieuse, femme d’un grand courage, d’une intelligence hors ligne, qui avec Varlin et autres avait fondé l’Internationale ; du reste la suite des événements ont [sic] prouvé la valeur des deux femmes, Dimitrieff a disparu dans les premiers jours, Mme Lemel a été avec André Léo l’une des combattantes des derniers jours à la Barricade de la rue Blanche. Mme Lemel arrêtée a été condamnée, elle était en Calédonie la compagne de Louise Michel. Nous avons encore du plaisir à entendre cette vaillante femme, infirme maintenant, mais dont l’énergie et les convictions sont restées les mêmes. La discussion fut très vive, Mme Lemel discutait avec un rare bon sens, les paroles enflammées de la révolutionnaire russe. Ce fut en sortant de la réunion que nous apprîmes l’entrée des troupes de Versailles.

Page 12 : Suite de la Commune. A partir du dimanche 22 mai, jour de l’entrée des troupes, la résistance fut organisée partout dans Paris, les barricades s’élevèrent dans toutes les rues, les passants étaient requis de déposer et poser un pavé sur la barricade qui se trouvait sur leur chemin. Dans le faubourg du temple où nous nous trouvions, il y avait des barricades formidables, une où se trouvait une pièce de canon, « la Victorieuse », rue Corbeau, une barricade rue Saint-Maur, près du passage qui se trouve en face de la maison de secours. La maison de secours fut transformée en ambulance, nous avions tout le matériel nécessaire, il manquait les médecins. Nous eûmes des blessés de suite, nous étions obligés de requérir des internes à Saint-Louis, et les blessés étaient de suite, après pansement, évacués sur l’hôpital Saint-Louis. Des morts furent déposés dans la salle d’entrée et lorsque la lutte fut finie 23 cadavres étaient rangés sur des brancards, dont une femme, elle portait une ceinture rouge, elle avait été atteinte d’une balle à la tête. Elle fut ( ?) reconnue.L’odeur qui se dégageait de ces morts était intolérable malgré tout ce que nous mettions ; Des gardes nationaux allaient et venaient pour nous aider, tout en faisant le coup de feu à la barricade proche.

Page 13 : Ce fut à partir du lundi des jours d’angoisse terrible dont le souvenir est toujours présent à ma mémoire. Les maîtresses d'école avaient abandonné l’école, le pharmacien Guillard était parti en voyant le danger. Nous étions restées seules dans ces grands corps de logis des écoles et de la maison de secours. Mon père vint me rejoindre, nous couchions au premier dans le dortoir des sœurs, à côté se trouvait la chapelle. Des obus démolirent une partie de la façade sur la rue, nous dûmes descendre en bas et coucher dans un couloir au milieu du bâtiment. Il était dangereux de sortir pour aller aux approvisionnements, heureusement qu’il y avait en réserve des provisions de conserves qui provenaient des dons anglais envoyés immédiatement après la paix et qui n’avaient pas encore été distribués. Le spectacle du haut des étages était terrible, Paris en feu de tous les côtés. Je ne pouvais retenir mes larmes, j’étais terrifiée.

Page 14 : Le samedi il ne restait plus dans le faubourg du Temple près des barricades que quelques hommes résolus et acharnés, ils faisaient peine à voir, une sombre énergie les soutenait. Le dernier dimanche à 8 heures du matin les troupes de Versailles surgirent des conduites des égouts et les jardins de l’hospice Saint-Louis, la rue Claude Vellefaux, l’établissement des pompes funèbres qui se trouvait derrière la maison de secours rue Alibert. Un Lieutenant, un sergent du ( ? ) de ligne avec une escouade de soldats envahirent la salle où se trouvaient les cadavres, et je crois que c’est à cette vue que nous dûmes de ne pas être fusillées ainsi que cela fut fait dans certains établissements. L’officier, le revolver en avant, me donna l’ordre d’enlever de suite la loque rouge qui se trouvait à la façade éventrée, de mettre de suite un drapeau tricolore, de prendre les clés et de conduire les soldats dans toutes les pièces et caves pour procéder à une perquisition [et] s’il n’y avait pas de Communeux.

Page 15 ! Le lundi des employés de la mairie vinrent s’assurer de l’état, recenser les morts qui furent enlevés seulement le mardi, on enleva soigneusement toutes les affiches de la Commune. Nous restâmes dans la maison de secours jusqu’au jeudi où les religieuses arrivèrent au moment où nous déjeunions. Les religieuses semblaient en vouloir aux maîtresses d’école, elles connaissaient Mme Eugénie Pottier, directrice qui avait tout abandonné.Je demandais à la supérieure de procéder [à] une visite de ce qui était sous ma direction [et non directeur comme écrit] et de me donner un certificat attestant qu’elle avait reçu la maison en bon état, ce qu’elle fit en remerciant les dames de la Commune –signé sœur Angèle. Immédiatement après, laissant Mme Dulong, j’allais à la mairie pour demander

Pages 16 : à être payée les deux [mot manquant] M.Dubail, maire, était dans son cabinet avec les deux adjoints Degouve-Denuncque et Emile Brelay. Ce dernier savait que j’avais été placée à la maison de secours par son ami Manier. Degouve-Denuncque en m’entendant dire que je désirais être payée s’écria furieux : « Cette femme est folle, elle a servi la Commune, elle ose se présenter ici ! Nous devrions vous faire mettre à Saint-Lazare ! » M. Brelay me dit : « Retirez-vous de suite, cela pourrait tourner mal pour vous ». Alors entendant les vociférations de Degouve enragé contre moi, je dis : « La Commune a duré deux mois. Vous ne rayerez pas deux mois de l’histoire ».".

Cote Ms 168 mf
Titre Manuscrit autobiographique
Importance matérielle 15 pages
Autres caractéristiques matérielles Manuscrit autographe écrit sur les supports les plus divers : publicité, papier quadrillé. Manque la page 6 mais un petit feuillet est épinglé à la page 7
Présentation du contenu

Récit autobiographique très vivant constituant un précieux témoignage sur les journées de 1848lien et surtout sur la Communelien à laquelle Eliska Vincent participa activement

Page 1 : "Elevée dans un milieu très avancé depuis que j’ai des souvenirs, j’ai toujours entendu autour de moi débattre les questions politiques et sociales les plus avancées. Mon père originaire des environs de Dreux vint à Asnières en 1844, tout jeune il était républicain.Ma mère était d’un village près de Condé-sur-Vesgre où les Saint-Simoniens avaient fondé en 1833 la colonie qui existe encore aujourd’hui. Les paysans allaient assister aux réunions que les Saint-Simoniens tenaient. Ils chantaient des chansons énumérant les bienfaits de la loi des Simoniens : « C’est la religion du vrai bonheur ».Notre mère nous entretenait souvent de ces hommes qui étaient regardés comme des messies par les campagnards, d’autant qu’ils étaient très généreux.

Page 2 : Lorsque la révolution de 1848 survint [mots barrés : mon père et] les républicains d’Asnières organisèrent des clubs pour discuter.[3 lignes barrées reprises plus bas]. Mon père était un fervent disciple du citoyen Cabet qui depuis longtemps avait posé les bases du communisme qu [’il ] a développé dans son volume Voyage en Icarie. Il existait une grande animosité entre les communistes et les partisans de Proudhon, ils étaient sans cesse en guerre. Les communistes étaient pour accorder les droits politiques aux femmes, les rendre égales aux hommes, les proudhoniens s’efforçaient de ridiculiser Cabet et surtout les femmes qui allaient dans les clubs.C’est ainsi que je [me] souviens des réunions : parmi les orateurs Cabetlien, Cantagrel, V. Considérant, Pierre Leroux, Malarmet, Demosthene Ollivier, Jeanne Deroin et bien d’autres. Le club d’Asnières était très avancé

Page 3 : Les contemporains seuls peuvent savoir l’animosité qui existait contre les communistes. Les Proudhoniens usaient de tous les moyens pour détruire l’idée communiste. Les débats dans tous les clubs étaient acharnés. Jeanne Deroin allait chaque jour dans les clubs, elle réclamait l’égalité des femmes devant la loi, elle était soutenue par tous les communistes, les disciples de Pierre Leroux, le fouriériste Victor Considérant et autres. J’ai en mains une bien curieuse médaille, souvenir du banquet fraternel des femmes socialistes jour de Noël 1848. Une face représente un diable ailé avec ces mots : « Le diable prêchant l’Evangile ». C’est nous qui sommes les vrais apôtres. Un de mes oncles fut pris à la suite des journées de juin et transporté à Belle-Ile-en-Mer. Lorsqu’il revint plusieurs années après, il racontait combien la détention avait été dure.Chez mon père on tenait un club privé.

Page 4 : Vint le 2 décembre. Je me souviens parfaitement que mon père alla avec six républicains d’Asnières aux rendez-vous fixés par ceux qui voulaient organiser la défense contre le coup d’état. Quelques jours après les journées de décembre, mon père fut arrêté avec ses amis, 7 en tout internés à Bicêtre. Il était avec Pierre Lachambaudie, le docteur Lesere, Baudet [et d’] autres.L’Empire fut voté, tous les républicains surveillés, il n’y eut plus d’agitation politique. Lors de l’attentat d’Orsini, la loi de sûreté générale fut votée, une étroite surveillance sur tous ceux qui avaient été emprisonnés à la suite du 2 décembre, des amis de mon père furent transportés en Algérie. J’ai commencé à prendre intérêt à ce que je lisais à la suite d’un roman publié dans Le Siècle, « Jacques Ganneson » [il s’agit en fait de « Jacques Galéron »], un des premiers ouvrages de Mme André Léo. Un ami de mon père [Charbonnier : mot barré] avait été à Boussac avec Champseix, devenu le mari de Mme André Léo. Exilé, il envoyait des correspondances de l’étranger au Siècle, seul journal républicain.

Page 5 : Les républicains commencèrent à faire de l’opposition à partir de 1869. Jules Simon fut élu député de notre circonscription puis vint la fondation du journal Le Courrier français dont le directeur en chef était Vermorel qui depuis fut membre de la Commune. Ensuite des réunions publiques furent organisées au Vauxhall rue de la Douane, à la salle Favier à Belleville où l’élément communiste dominait, représenté par Malarmet, Gabriel Ranvier, qui devint membre de la Commune, la citoyenne Desmars Petit qui avait été emprisonnée avec Jeanne Deroin.En 1868, sous l’inspiration de Mme André Léo, fut fondée la société la Revendication des droits de la femme avec Mmes Verdure, Ranvier, Louise Michel, Elisée Reclus, Vincent, Mauriceau, Deraismes, La Cécilia, Mme Gagneur femme du député fouriériste Wladimir [et non Willem comme indiqué] Gagneur, MM. Malarmet, Francolins, Desmoulins, Netré [et non Nettré], Pecqueur et autres

Page 6 : Une somme de 11000 [francs ?] fut collectée pour fonder une école laïque libre dont le programme fut adopté par les souscripteurs. On fit appel par un concours aux institutrices laïques et furent désignées Mme Eugénie Pottier, Mme Vivien, institutrices l’une et l’autre à Paris. La somme de 11000 [francs ?] fut déposée à la banque Arlès Dufour dont le dévouement à la cause des femmes était bien connu. Un programme de la revendication du droit des femmes fut discuté, adopté, un projet de loi écrit ; il avait été déposé à la Chambre par le député Gagneur. Lorsque survint la guerre de 1870, tout fut suspendu, les femmes songèrent à se grouper pour discuter sur la défense nationale qui absorbait tous les esprits. Nous allâmes consulter Mme André Léo qui restait alors 90 ¬[en fait 92] rue Nollet, on convint qu’on se réunirait dans l’école privée de Mme Eugénie Pottier, une des institutrices qui avait été choisie au concours de l’école laïque. Des convocations furent adressées, des hommes vinrent discuter avec les femmes,

Page 7 : Malarmet, Ranvier, A. Desmoulin[s], Charbonnier, Benoit Malon, Petit, Géniller, Lefrançais, Jules Allix, Nétré, et tant d’autres. Des réunions s’alternèrent rue du Cloitre Notre-Dame, au Gymnase Trial aux Champs Elysées, et rue Folie Méricourt. Là se trouvaient Mmes Eugénie Niboyet, Adèle Esquiros, Louise Michel, La Cecilia, Laffitte, Vincent, Mauriceau, André Léo, Vivien

Page 8 : Période du Siège 1870. Manifestation pour Strasbourg. Louise Michel dans son Histoire de la Commune page 74 fixe au 18 septembre cette manifestation. Parties de la place de la Concorde, un grand nombre de femmes se rendirent à l’Hôtel de Ville. André Léo, Louise Michel étaient en tête, Mmes Vincent, Mauriceau, Girard, Laffitte, Vivien, Pottier suivaient, et bien d’autres. Michel et André Léo furent gardées à l’Hôtel de Ville.

Page 9 : Période de la Commune. M. Da Costa père vint nous mettre au courant ainsi qu’un délégué de l’Assistance publique nommé Renard qui fut chargé de faire l’inventaire avec 2 employés. Au service de la pharmacie, j’ai rencontré avec surprise le fils de Guillaud (ou Guillard ?), le pharmacien de la Grande Rue à Asnières. Etudiant en pharmacie, il avait pris cet emploi pour se soustraire au service de la garde nationale. Au bout de quelques jours, nous étions organisées, tous les services, lingerie, bain, prêt de linge, consultations médicales, fonctionnaient à la grande satisfaction de la population ouvrière du quartier. Le directeur de l’Assistance publique était M. Treillard de Lyon. Le s[ervice de] l’enseignement était sous la direction des citoyens Vaillant, le député actuel, Rama et Manier qui fut après conseiller municipal de Paris, les 2 anciens instituteurs morts depuis. Un comité de femmes était installé dans le 10e arrondissement pour surveiller ; J’avais reçu des ordres formels du comité central installé à la mairie du 10e arrondissement par le citoyen Lesoudier de ne pas recevoir les femmes composant le comité, qui devait rester en dehors de tout service administratif malgré toutes les tentatives que firent les femmes pour diriger les services.

Page 10 : Période de la Commune. Une amie, Mme Petit Desmars, fut installée comme directrice dans la maison de secours de la rue du Terrage, cette maison était beaucoup moins importante que celle de la rue du Corbeau, une autre de nos amies dont le mari avait été tué dirigeait la maison de la rue Chabrol. Absorbée par l’organisation intérieure de la maison rue Corbeau, je n’avais pas le temps de suivre les réunions où les femmes se réunissaient. J’avais trouvé la maison et les salles du premier étage qui servaient de magasin dans le plus grand désordre, les sœurs étaient parties précipitamment fin mars, toutes les étoffes étaient mêlées. Voici comment fonctionnait le service du prêt gratuit du linge ; 2 commerçants du quartier se portaient garants d’une somme de 10 ou 12 francs pour une paire de draps, 3 fr pour une chemise. Les nécessiteux venaient chaque semaine échanger le linge propre. Ce service était pénible, le blanchisseur venait prendre le linge sale. Dans les derniers jours de la Commune nous ne pûmes arriver à fournir. J’ai eu beaucoup de peine à empêcher que la maison ne fût vidée, dans certaines maisons de l’assistance tout le linge fut distribué les derniers jours de la lutte à tous ceux qui se présentèrent. Je peux dire seule j’ai réussi par mon énergie à rendre la maison telle que je l’avais reçue, avec l’ordre en plus.

Page 11 : Période de la Commune. Lors de l’entrée des Versaillais le dimanche 22 mai j’étais avec Mme Petit à la mairie du 4e arrondissement, il y avait dans une vaste salle au premier étage une réunion où se tenait une assemblée de femmes discutant sur la situation de Paris. C’est la première fois que j’ai vu Mme Dimitrieff, une jeune ( ? ) russe ou polonaise, je ne sais au juste, qui passait pour être patronnée par Léo Frankel. Elle était vêtue en noir + une ceinture rouge, un revolver passé dans la ceinture, une épaisse chevelure. J’avoue que j’ai préféré de beaucoup l’allure simple et modeste de Mme Lemel, la vaillante relieuse, femme d’un grand courage, d’une intelligence hors ligne, qui avec Varlin et autres avait fondé l’Internationale ; du reste la suite des événements ont [sic] prouvé la valeur des deux femmes, Dimitrieff a disparu dans les premiers jours, Mme Lemel a été avec André Léo l’une des combattantes des derniers jours à la Barricade de la rue Blanche. Mme Lemel arrêtée a été condamnée, elle était en Calédonie la compagne de Louise Michel. Nous avons encore du plaisir à entendre cette vaillante femme, infirme maintenant, mais dont l’énergie et les convictions sont restées les mêmes. La discussion fut très vive, Mme Lemel discutait avec un rare bon sens, les paroles enflammées de la révolutionnaire russe. Ce fut en sortant de la réunion que nous apprîmes l’entrée des troupes de Versailles.

Page 12 : Suite de la Commune. A partir du dimanche 22 mai, jour de l’entrée des troupes, la résistance fut organisée partout dans Paris, les barricades s’élevèrent dans toutes les rues, les passants étaient requis de déposer et poser un pavé sur la barricade qui se trouvait sur leur chemin. Dans le faubourg du temple où nous nous trouvions, il y avait des barricades formidables, une où se trouvait une pièce de canon, « la Victorieuse », rue Corbeau, une barricade rue Saint-Maur, près du passage qui se trouve en face de la maison de secours. La maison de secours fut transformée en ambulance, nous avions tout le matériel nécessaire, il manquait les médecins. Nous eûmes des blessés de suite, nous étions obligés de requérir des internes à Saint-Louis, et les blessés étaient de suite, après pansement, évacués sur l’hôpital Saint-Louis. Des morts furent déposés dans la salle d’entrée et lorsque la lutte fut finie 23 cadavres étaient rangés sur des brancards, dont une femme, elle portait une ceinture rouge, elle avait été atteinte d’une balle à la tête. Elle fut ( ?) reconnue.L’odeur qui se dégageait de ces morts était intolérable malgré tout ce que nous mettions ; Des gardes nationaux allaient et venaient pour nous aider, tout en faisant le coup de feu à la barricade proche.

Page 13 : Ce fut à partir du lundi des jours d’angoisse terrible dont le souvenir est toujours présent à ma mémoire. Les maîtresses d'école avaient abandonné l’école, le pharmacien Guillard était parti en voyant le danger. Nous étions restées seules dans ces grands corps de logis des écoles et de la maison de secours. Mon père vint me rejoindre, nous couchions au premier dans le dortoir des sœurs, à côté se trouvait la chapelle. Des obus démolirent une partie de la façade sur la rue, nous dûmes descendre en bas et coucher dans un couloir au milieu du bâtiment. Il était dangereux de sortir pour aller aux approvisionnements, heureusement qu’il y avait en réserve des provisions de conserves qui provenaient des dons anglais envoyés immédiatement après la paix et qui n’avaient pas encore été distribués. Le spectacle du haut des étages était terrible, Paris en feu de tous les côtés. Je ne pouvais retenir mes larmes, j’étais terrifiée.

Page 14 : Le samedi il ne restait plus dans le faubourg du Temple près des barricades que quelques hommes résolus et acharnés, ils faisaient peine à voir, une sombre énergie les soutenait. Le dernier dimanche à 8 heures du matin les troupes de Versailles surgirent des conduites des égouts et les jardins de l’hospice Saint-Louis, la rue Claude Vellefaux, l’établissement des pompes funèbres qui se trouvait derrière la maison de secours rue Alibert. Un Lieutenant, un sergent du ( ? ) de ligne avec une escouade de soldats envahirent la salle où se trouvaient les cadavres, et je crois que c’est à cette vue que nous dûmes de ne pas être fusillées ainsi que cela fut fait dans certains établissements. L’officier, le revolver en avant, me donna l’ordre d’enlever de suite la loque rouge qui se trouvait à la façade éventrée, de mettre de suite un drapeau tricolore, de prendre les clés et de conduire les soldats dans toutes les pièces et caves pour procéder à une perquisition [et] s’il n’y avait pas de Communeux.

Page 15 ! Le lundi des employés de la mairie vinrent s’assurer de l’état, recenser les morts qui furent enlevés seulement le mardi, on enleva soigneusement toutes les affiches de la Commune. Nous restâmes dans la maison de secours jusqu’au jeudi où les religieuses arrivèrent au moment où nous déjeunions. Les religieuses semblaient en vouloir aux maîtresses d’école, elles connaissaient Mme Eugénie Pottier, directrice qui avait tout abandonné.Je demandais à la supérieure de procéder [à] une visite de ce qui était sous ma direction [et non directeur comme écrit] et de me donner un certificat attestant qu’elle avait reçu la maison en bon état, ce qu’elle fit en remerciant les dames de la Commune –signé sœur Angèle. Immédiatement après, laissant Mme Dulong, j’allais à la mairie pour demander

Pages 16 : à être payée les deux [mot manquant] M.Dubail, maire, était dans son cabinet avec les deux adjoints Degouve-Denuncque et Emile Brelay. Ce dernier savait que j’avais été placée à la maison de secours par son ami Manier. Degouve-Denuncque en m’entendant dire que je désirais être payée s’écria furieux : « Cette femme est folle, elle a servi la Commune, elle ose se présenter ici ! Nous devrions vous faire mettre à Saint-Lazare ! » M. Brelay me dit : « Retirez-vous de suite, cela pourrait tourner mal pour vous ». Alors entendant les vociférations de Degouve enragé contre moi, je dis : « La Commune a duré deux mois. Vous ne rayerez pas deux mois de l’histoire ».".

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Saint-simonisme

Deroin, Jeannelien[Sujet]

Michel, Louiselien[Sujet]

Dmitrieff, Elisabethlien

Le Mel, Nathalielien[Sujet]

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