Legenda aurea

La bibliothèque de la ville de Charleville possède 305 manuscrits [Le désaccord qui existe entre la numérotation du présent catalogue et le nombre des ouvrages manuscrits est dû à l'intercalation de sous-chiffres destinés autant que possible à conserver intacte l'ancienne numérotation], formant un total de 391 volumes ; ce sont pour la plupart des ouvrages de scolastique, de théologie et de liturgie, provenant en majeure partie des différents établissements religieux du pays ardennais, supprimés à la suite de la Révolution française. Le décret de 1790, ordonnant de centraliser au chef-lieu du département ou du district les livres et les manuscrits enlevés aux anciennes abbayes, ne fut sans doute pas mieux observé à Charleville qu'ailleurs, et les collections qui composent la bibliothèque de cette ville nous sont parvenues incomplètes et désagrégées.

Parmi les établissements religieux qui contribuèrent à former la bibliothèque de Charleville, l'abbaye de Signy est certainement celui qui a fourni le plus grand nombre de volumes, puisque, sur les 305 ouvrages que compte notre catalogue, 110 faisaient partie de la bibliothèque du grand monastère Cistercien ou même avaient été copiés par ses religieux. Nous pouvons du reste juger de l'importance qu'avait encore au milieu du XVIII^e siècle la bibliothèque de Signy par la relation manuscrite du voyage de dom Guitton, bibliothécaire de Clairvaux (Ce ms., qui porte à la Bibliothèque nationale le n^o fr. 23474, nous a été signalé par notre collègue et ami M. Ul. Robert. Il a pour titre : Relation de voyage en Champagne par dom Guitton, bibliothécaire de Clairvaux (1744-1749). « La bibliothèque de Signy, nous dit au folio 135 verso notre voyageur, est en forme. Elle a des manuscrits anciens sur parchemins : nous y avons remarqué celui qui est fort délabré, sans couverture ny commencement ny fin, qui dans la plus grande partie comprend des ouvrages de saint Anselme, sur la fin la Vie du bienheureux Pierre Monocule, abbé huictième de Clairvaux, mais qui n'est pas entière. C'est par où finit le manuscrit délabré dont j'ay représenté l'inutilité pour Signy au père prieur, souprieur, procureur et autres religieux, qui tous ont consentis que je le portasse à Clairvaux. J'y ay remarqué : Sancti Thomæ martyris vita et miracula ac laus Philippi, Leodii archidiaconi, prioris Clarævallis et Elemosynæ abbatis ; un beau et grand martyrologe de l'ordre, suivi de la règle de saint Benoist, de définitions, mémoire et association des ordres de Cluny, Chartreux, etc ; en un autre volume manuscrit bien écrit, lettre ou traité à Geoffroi, évêque de Chartres, et à saint Bernard, qui les sollicite de veiller sur les erreurs de Pierre Abaillard. Dans un autre manuscrit bien écrit, sur la fin sont des vers d'Albert, moine de Clairvaux, sur saint Bernard, adressés à Oddon, abbé de Vauclair ; aussy des vers de saint Malachie ; plus la chronique de Sigebert, moine de Gemblours au diocèse de Namur en Brabant, en réputation sur la fin du onzième siècle ; elle est en manuscrit sur parchemin, bien lisible. C'est un volume in-quarto épais, bien relié, la couverture ancienne sur bois, un peu altérée au dos couvert pour cela d'un morceau de parchemin notté en plain-chant. Le recto de la première feuille comprend en mauvais ordre les noms de quelques abbés de Signy, etc. »

Le premier des 5 manuscrits dont nous parle le bibliothécaire Cistercien ne figure pas aujourd'hui au catalogue de la bibliothèque de Troyes ; les 2 suivants ne sauraient être identifiés avec aucun des manuscrits du présent catalogue ; quant aux 2 derniers, il n'en est pas de même. La lettre adressée à Geoffroi, évêque de Chartres, et à saint Bernard existe bien sous le n^o 67, comme partie d'ouvrage seulement, et nous voyons à la fin du ms. n^o 197^b les vers adressés à Odon, abbé de Vauclair ; toutefois le reste du manuscrit n'est pas semblable à la description que nous en donne dom Guitton, et nous n'y retrouvons pas la chronique de Sigebert, copiée tout entière dans la Relation de voyage. Peut-être faut-il admettre que ces vers sur saint Bernard étaient assez répandus pour avoir été copiés sur plusieurs manuscrits à la fois. — Le Voyage littéraire de deux religieux bénédictins nous dit seulement à propos de Signy (I, II, 150) que « l'on y conserve plusieurs manuscrits ; la plupart sont des ouvrages des Pères, surtout de saint Augustin, la seconde seconde de saint Thomas, etc. » Le saint Augustin auquel il est fait ici allusion est sans doute le n^o 202 de notre catalogue.

Après Signy, c'est l'abbaye de Belval, de l'ordre des Prémontrés, qui a fourni le plus de manuscrits à la bibliothèque de Charleville ; son contingent est de 83 ouvrages, presque tous remarquables par leur exécution calligraphique. La garde du ms. n^o 26, premier volume (cf. n^o 25), est remplie par une notice qui nous donne certains détails sur la bibliothèque de cette abbaye. L'existence de 120 manuscrits dans cette bibliothèque nous prouve bien que le goût des études littéraires fut toujours vivant à Belval : « Ea studia floruerunt in primis sub Philippo, hujus monasteru prima et altera vice abbate, ac ejus successoribus, in decursu duodecimi sæculi ; eorum enim extant plura monumenta ; sequenti sæculo sua non desunt majorum nostroram elucubrationum argumenta.... » La bibliothèque, réunie surtout par les soins de Baudouin de Beaumont, abbé de Belval, comprenait, outre les écrits des Pères, bon nombre d'ouvrages profanes, dont l'auteur de la notice nous cite les noms. A partir du XV^e siècle, la collection des manuscrits fut un peu négligée ; enfin, en 1732, Jean Rouyer, prieur, la fit mettre en ordre, en y ajoutant des volumes imprimés.

La Chartreuse du Mont-Dieu a donné, elle aussi, 69 manuscrits à la bibliothèque de Charleville ; et ici, comme pour l'abbaye de Signy, le témoignage de dom Guitton nous est précieux : « Belle bibliothèque, » nous dit-il au folio 255 verso de sa Relation de voyage, « où ils conservent la lettre célèbre Ad fratres de Monte Dei. C'est un manuscrit in-8^o sur vélin qui est un volume seul, couvert d'une espèce de taffetas damassé. » Ce manuscrit n'est pas compris dans notre catalogue. — Le Voyage littéraire, qui nous donne si peu de renseignements sur l'abbaye de Signy, s'étend un peu plus sur la Chartreuse du Mont-Dieu : « Nous y vîmes, » disent les deux bénédictins, « la Règle de saint Benoît que l'abbé Odon donna aux premiers habitants de ce désert, les statuts de Guigues écrits de son temps, les chapitres des premiers chapitres Chartreux, une ancienne version de l'épître au frère du Mont-Dieu, faite il y a plus de quatre cents ans, dont l'on a effacé le nom de l'auteur pour y mettre celui de saint Bernard ; la préface est courte et il n'y est point fait mention des ouvrages de Guillaume, abbé de Saint-Thierry, qui, par conséquent, n'en doit point être regardé auteur. Nous y vîmes aussi les chroniques de saint Jérôme et d'Adon, les Mémoires du Père Gagneron... » Nous n'avons pu identifier tous ces manuscrits, et sauf la Règle de saint Benoît, sans doute représentée par le n^o 138, et les Mémoires du Père Gagneron, devenus peut-être le n^o 236, il nous faut avouer que la bibliothèque de Charleville ne possède aucun des manuscrits vus par les deux religieux bénédictins.

En dehors des trois grandes maisons que nous venons de citer, Signy, Belval, le Mont-Dieu, les autres établissements religieux n'ont fourni que peu de manuscrits à la bibliothèque de Charleville. Citons seulement 4 ouvrages provenant des Capucins de Charleville, qui cependant ont possédé autrefois jusqu'à 101 manuscrits, et 4 autres ayant appartenu à la Collégiale de Saint-Pierre de Mézières ; joignons à cette liste une douzaine de volumes venus un peu de droite et de gauche, enfin, une vingtaine dont la provenance est inconnue, et nous aurons passe en revue tous les manuscrits de Charleville.

Telle que nous la voyons aujourd'hui, la composition des manuscrits de la bibliothèque de Charleville n'a pas varié depuis la Révolution. Lorsqu'en vertu de la loi du 25 février 1795 la création d'une École centrale fut décidée à Charleville (Nous empruntons certains détails relatifs à l'historique de la bibliothèque de Charleville depuis 1789 à l'Histoire de Charleville (1854, in-12) de M. Jean Hubert et aux Mélanges d'histoire ardennaise (1876, in-8^o) du même auteur), les manuscrits et les livres provenant des différents établissements religieux durent former la bibliothèque de la nouvelle École. Mais cet état de choses dura peu ; les Écoles centrales furent supprimées, et la loi du 8 pluviôse an XI ordonna que leurs bibliothèques feraient retour aux municipalités.

Depuis cette époque, Charleville avait sa bibliothèque, mais on s'occupa peu des manuscrits qu'elle renfermait. En 1830, G. Haenel publia dans son répertoire (Catalogi librorum manascriptorum, Lipsiae, 1830, in-4^o, p. 119-124) le catalogue sommaire et trop abrégé des manuscrits de la ville, dont il porta le nombre à 408 pour l'année 1826. Ce catalogue a été réimprimé dans la collection Migne (Dictionnaire des manuscrits, 1853, in-4^o, I, p. 245-254). Enfin en 1842, M. J. Quicherat fut chargé par M. Villemain, alors ministre de l'Instruction publique, de faire le catalogue des manuscrits de Charleville : ce catalogue est celui que nous imprimons aujourd'hui.

Tout dernièrement, un violent incendie a détruit la partie du collége où se trouvait la bibliothèque de la ville : les livres et les manuscrits furent déménagés à la hâte. M. le Ministre de l'Instruction publique voulut bien nous charger au mois de septembre 1876 d'une mission pour Charleville ; nous devions collationner sur épreuves les manuscrits dont le catalogue avait été rédigé par M. J. Quicherat, et nous rendre compte des pertes que l'incendie avait pu faire subir à la collection des manuscrits. Ce travail nous a été rendu facile par l'obligeance de M. Jean Hubert, bibliothécaire de la ville, qui s'est mis gracieusement à notre disposition, et nous sommes heureux de dire que deux manuscrits seulement, de peu d'importance du reste, n'ont pas été retrouvés. Le premier de ces manuscrits, auquel M. J. Quicherat avait donné primitivement le n^o 101, était un in-8^o parvo sur papier, du XVII^e siècle, ayant pour titre : De la cabale ou traditive auquel se traitte de Dieu, de sa souveraineté, des principes, gouvernement et progrez des choses. Le second, qui portait le n^o 147, était une Bible du XIII^e siècle (in-8^o sur vélin), ayant appartenu aux Capucins de Charleville. Ce volume était en mauvais état et ne commençait qu'au XXXVII^e chapitre de la Genèse.

Notre séjour à Charleville nous a permis de plus de constater que, le 6 mars 1863, un certain nombre de manuscrits ont été retirés de la bibliothèque de la ville par M. Sénemaud, archiviste du département des Ardennes, pour être déposés (En vertu des instructions et lettres du Ministre de l'Intérieur en date du 11 juillet 1860 et du 17 octobre 1861) aux Archives de la préfecture à Mézières. Ces ouvrages sont tous fort importants pour l'histoire locale et administrative du département ; aussi avons-nous cru devoir les laisser figurer à leur numéro d'ordre dans le catalogue. Ce sont :

1^o n^o 46. Cartularium monasterii Sanctæ Mariæ Signiacensis in Arduenna (XIII^e siècle). — 1 vol. in-4^o sur vélin.

2^o n^o 48. Cartularium ecclesiæ Sancti Petri Maceriensis (XIII^e siècle). — 1 vol. in-4^o sur vélin.

3^o n^o 179. Domaine de Chasteauregnault (en Ardenne) pour l'année finie le dernier jour de décembre mil six cens trente ung (XVII^e siècle). — 1 reg. in-folio sur parchemin.

4^o n^o 180. Receptes et despenses de la procuration et fabrique de l'église collégiale de Saint-Pierre de Maisières de l'année 1472 à l'année 1491 (XV^e siècle). — 1 reg. in-folio sur papier.

5^o n^o 183^a. Registres capitulaires de la collégiale de Saint-Pierre de Mézières (XVI-XVIII^e siècles). — 8 vol. in-folio sur papier.

6^o n^o 183^b. Registre des baux et cens de la collégiale de Saint-Pierre de Mézières (XVII-XVIII^e siècles). — 1 vol. in-folio sur papier.

7^o n^o 274. Collectarium Montis Dei. Tricennaria et alia officia, etc. (XIII^e et XVI^e siècles). — 1 vol. in-folio parvo sur vélin.

8^o n^o 276. Monasterii Signaciensis cartularium generale (XVIII^e siècle). — 1 vol. in-folio sur papier.

G. R.

Paris, le 30 septembre 1876.