« Chy commence li prologue sur le livre qui est appellé le Myroir des dames. — Selonc ce que dist ung maistre qui est nommé Vegecius en ung livre... » Traduction entreprise à la demande de Jeanne, reine de France et de Navarre, par un frère mineur qui ne se nomme pas. Début du texte : « Salemon qui fu de sapience par le don de Dieu clerement enluminez, en ung sien livre qui est appellés Proverbes... »

La Bibliothèque de Valenciennes est sans contredit une des plus importantes du département du Nord ; si elle renferme un moins grand nombre de volumes imprimés que celle de Lille, elle possède par contre une collection incomparable de manuscrits. C'est à Valenciennes en effet qu'ont été transportés en 1790 les livres de la célèbre abbaye de Saint-Amand, et personne n'ignore que cette antique maison fut, du IX^e au XII^e siècle, un des principaux centres littéraires du nord de la Gaule. L'activité des anciens religieux bénédictins de Saint-Amand ne semble pas en effet s'être bornée aux recherches de théologie et d'histoire ; plus que beaucoup de leurs confrères ils paraissent avoir gardé le goût des lettres proprement dites, et quelques-uns des meilleurs poètes de l'époque carolingienne ont été des religieux de ce monastère. A vrai dire, les premiers abbés de cette maison avaient tout fait pour obtenir cet heureux résultat ; nous avons encore les traités techniques en usage dans la vieille école d'Elnone, et leur nombre comme leur nature semble prouver qu'on tenait surtout à former des poètes, des écrivains et des savants. Ce mouvement littéraire, intense au IX^e siècle, se soutient fort longtemps, jusqu'au début du XIII^e, et plus tard encore, au XVI^e et au XVII^e, Saint-Amand aura le bonheur d'être gouverné par des hommes sachant apprécier et encourager les recherches intellectuelles. Aussi la bibliothèque formée durant les hauts siècles du moyen âge s'est-elle conservée sans trop de pertes durant les derniers temps de cette période historique, et des 280 manuscrits dont Sanderus avait publié en 1641 l'inventaire détaillé, 40 à peine manquent aujourd'hui à l'appel : les autres se retrouvent pour la plupart à Valenciennes, quelques-uns seulement, dérobés jadis par Le Tellier, archevêque de Reims, ont pris place dans les collections de la Bibliothèque nationale.

Remarquables par leur contenu, les manuscrits de Saint-Amand ne le sont guère moins au point de vue de l'exécution matérielle. On y trouve beaucoup de volumes illustrés de belles peintures, et il y aurait lieu d'étudier cette école particulière, une des plus brillantes à coup sûr du XII^e siècle. Bien plus, on connaît le nom de quelques-uns des moines peintres qui ont enluminé ces belles copies de la Bible ou des œuvres des Pères, et le fait est assez rare pour mériter d'être signalé en passant.

L'histoire de la bibliothèque de Saint-Amand a déjà été faite, et de main de maître, par M. Delisle (Cabinet des manuscrits, t. I, p. 307-319) ; en y joignant les indications fournies par M. l'abbé Desilve (De schola Elnonensi Sancti Amandi a saeculo IX ad XII usque... Lovanii, 1890, in-8^o), on aura un tableau à peu près complet de l'activité littéraire dans cette maison pendant près de trois siècles. Il nous paraît donc inutile d'ajouter quelques traits nouveaux à ce travail qui nous semble définitif ; on trouvera au surplus à la table du présent volume les noms des principaux bienfaiteurs de cette librairie monastique.

On possède trois inventaires anciens des manuscrits de Saint-Amand. En premier lieu, une courte liste de manuscrits de littérature, de grammaire et de philosophie ; publiée par Mangeart (p. 32-33), d'après le manuscrit 33 de Valenciennes, elle a été réimprimée par M. l'abbé Desilve (p. 151-154) ; ce dernier estime qu'elle peut dater des années 1123-1136, et des 31 articles qui y sont énumérés quatre seulement ne se retrouvent pas dans la liste suivante. Nous possédons en effet un inventaire plus étendu et plus détaillé, composé entre 1150 et 1168 renfermé dans le manuscrit latin 1850 de la Bibliothèque nationale, il a été publié par M. Delisle (Cabinet des manuscrits, t. II, p. 448-458) et par M. Desilve (p. 154-177) ; on y compte 315 articles, et pour beaucoup le rédacteur a nommé le donateur du volume. Les deux éditeurs indiquent les numéros actuels portés par certains de ces manuscrits soit à Valenciennes, soit à Paris. C'est cet inventaire que, dans nos descriptions, nous appelons l'Index major. Enfin citons le catalogue inséré par Sanderus dans sa Bibliotheca Belgica ; il lui avait été communiqué par D. Ildephonse Gœtghebuer, moine de Saint-Amand. Il est d'ailleurs, on doit le reconnaître, assez imparfait, et Mangeart y a relevé nombre d'erreurs.

C'est de Saint-Amand que proviennent pour une grande part les manuscrits de la ville de Valenciennes. Les autres maisons religieuses du pays n'ont donné que peu de chose ; citons seulement l'abbaye de Saint-Saulve, celle de Saint-Jean de Valenciennes, les Carmes, les Récollets et les Jésuites de la même ville, les monastères de Vicoigne et d'Hasnon, de Saint-Ghislain et de Marchiennes, enfin la Chartreuse de Macourt ; tout cela est peu important et ne saurait, ni comme nombre, ni comme valeur, être comparé à l'admirable collection d'Elnone. Beaucoup plus riche était la bibliothèque formée par les princes de Croy dans leurs châteaux de Condé et de l'Hermitage. On y trouvait beaucoup de manuscrits remontant au XV^e siècle, dont plusieurs sont fort richement illustrés ou renferment des textes historiques et littéraires très curieux ; ajoutons-y quantité de recueils précieux pour l'histoire politique et militaire du XVI^e au XVIII^e siècle. Tout cela forme une masse considérable qui, partout ailleurs qu'à Valenciennes où abondent les raretés manuscrites, passerait pour une collection de premier ordre.

A ce premier fonds sont venus se joindre au cours de ce siècle beaucoup de volumes plus ou moins intéressants : en premier lieu les papiers d'un écrivain valenciennois, Hécart ; puis beaucoup de volumes extraits des Archives municipales, et qu'on aurait peut-être mieux fait de ne point déplacer ; enfin la collection de M. Bénézech, léguée en 1852. En somme, la Bibliothèque de Valenciennes possédait, il y a trente ans, 869 volumes manuscrits, dont 279 sur vélin. La description de cette première partie a été publiée en 1860 par l'ancien bibliothécaire, Mangeart.

Depuis, le fonds des manuscrits s'est encore accru ; non seulement on a retrouvé dans le fonds des imprimés un certain nombre de volumes manuscrits, mais encore la ville a acquis en vente publique ou reçu de généreux bienfaiteurs bon nombre de volumes relatifs à l'histoire du pays ou traitant du droit coutumier de l'ancien Hainaut. Grâce à ces accroissements, la Bibliothèque de Valenciennes compte aujourd'hui près de 1,100 volumes manuscrits (exactement 1,088) ; tel était du moins le chiffre en juillet 1893, date du séjour à Valenciennes de l'auteur du présent travail.

Le catalogue publié par Mangeart en 1860, l'inventaire du supplément rédigé par M. Maurice Hénault et paru en 1892, sont l'un et l'autre extrêmement étendus, et les auteurs ont cru devoir donner une foule de détails, fort utiles à coup sûr, mais qui ne rentrent pas dans le cadre imposé aux rédacteurs du Catalogue général. Aussi le présent inventaire paraîtra-t-il un peu sommaire à ceux qui auront eu l'occasion de consulter les copieuses descriptions de Mangeart. Toutefois, non seulement l'auteur a la certitude d'avoir sur beaucoup de points amélioré le remarquable travail de son prédécesseur, mais encore on trouvera dans ses notices nombre de renseignements que le savant bibliothécaire de Valenciennes n'avait pas cru nécessaire de donner, et qui doivent aujourd'hui figurer dans toute publication de ce genre : débuts des traités, renvois bibliographiques précis et détaillés, dimensions des volumes, etc.

En terminant, l'auteur se fait un plaisir de remercier M. Lecat, bibliothécaire actuel, de son aimable accueil et des facilités qu'il lui a données pour la rédaction du présent travail. M. Maurice Hénault, bibliothécaire adjoint, a bien voulu, de son côté, revoir une partie des épreuves sur les volumes mêmes, et épargner ainsi quelques erreurs à l'auteur, qui le prie de recevoir l'expression de sa gratitude pour cette amicale collaboration.